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26/02/2017

"plus impitoyable et plus infâme", ou une cause commune contre la mort

"celle qui avait inventé pour moi tant de bonnes paroles et de beaux regards"

celle qui avait inventé pour moi tant de bonnes paroles et de beaux regards

 

comme je dis dans la description de la couverture Henri Barbusse http://eo.wikipedia.org/wiki/Henri_Barbusse qui fut d'abord lié au milieux symbolistes, puis plongé, lui si sensible et si obsédé par le caractère sacré de la vie et l'horreur de la mort, dans l'enfer de la guerre 1914-18, est devenu au sortir de celle-ci communiste (et quand on lit "Clarté" , son livre majeur, on le comprend) - et aussi défenseur de l'Espéranto - La postérité n'a retenu de lui que son admiration, illusion alors pas rare, il faut se remettre dans le contexte, de Staline, et injustement oublié ses deux plus grands livres. Outre "Clarté" après la guerre, celui-ci, recueil de profondes et poignantes nouvelles (j'ai traduit l'une d'elle en espéranto http://r.platteau.free.fr/prozajtradukajxoj.html#Henri_Ba... ) dominées par la fraternité déchirante des être qui vivent, et qui meurent ...

Et le texte complet de ce livre, incroyablement non réédité, alors que c'est un chef d'oeuvre, d'émotion et de pensée, peut se lire dieu sait où !  Gallica  c'est de la merde ! on l'a supprimé !!! c'aurait été une bonne idée, en fait un "must" le BA BA de la démocratie e et de la République !!! que de mettre en téléchargeable gratuit tous les livres de la Bibliothèque Nationale, c'est ce qu'ils avaient ANONCE .... et au début ils l'ont fait mais  maintenant on ne voit PLUS RIEN DU TOUT sur leurs pages, et je pense que si on veut avoir accèes à quelque chose il faut PAYER ! le capitalisme cynique est en train de TUER la REPUBLIQUE et les valeurs républicaines, et les valeurs de CIVILISATION purement et simplement !

 

 

VENGEANCE

Dans cette loge d’artiste de cirque, au milieu des pauvres oripeaux luxueux, des glorieuses affiches de papier, des débris de décors, la petite dompteuse était étendue, glacée. On l’avait posée sur des tentures et des draperies, comme sur des espèces de drapeaŭx ; et je veillais seul, ayant gardé mon costume de dompteur.

Ma douleur ne servit à rien. Elle tait morte, ma compagne, ma femme, mon enfant, celle qui avait inventé pour moi tant de bonnes paroles, et de beaux regards. Depuis des heures que frissonnait sur elle la lueur de la bougie et que je sanglotais, sa petite figure devenait de plus en plus immobile.

C’était la dernière nuit qu’elle passait sur la terre. Cette nuit encore, bien que morte, elle était là, à côté de moi. Cette nuit encore, bien que morte, elle souriait : ses traits reposés avaient repris leur vraie forme, leur habitude, et alors, naturellement, elle s’était mise à me sourire. Cette nuit encore, j’aurais pu la toucher. Mais demain, elle irait dans la terre ; puis, cachée et seule, elle changerait.

Et tout mon deuil, mon impuissance, se répétaient dans une prière inutile, une invocation de fou que je proférais en tremblant :

- Ah ! si ce drame n’avait pas eu lieu ! Si elle n’était pas entré dans la cage !… Oh ! mon Dieu ! si …

Et je pensai, en un frisson affreux, à celui qui l’avait tuée… Lui…

Le grand lion.

Dans un angle de la cage, je ne sais pas comment – l’abominable chose fut si rapide – un coup de mystérieuse colère avait jeté l’énorme monstre sur elle, et tout de suite, elle avait été tuée.

Pourtant, elle était si riante et si fraîche ! Tandis que j’étais là, n’osant pas la regarder, à cause du peu de moments que nous avions, ses sourires et ses grâces étaient ce qui m’obsédait le plus. J’étais torturé par la finesse de sa voix, la légèreté de sa marche, la petitesse de ses mains. Et je me débattais…

Le lion… Le lion !…

Alors, vers minuit, dans une crise, je fus pris d’une fureur désespérée contre le grand lion maudit. Une idée s’implanta, farouche, dans mon cerveau : me venger, le tuer !

Et je me levai en chancelant, pour aller le tuer.

Je parcourus un couloir, le long de la toile oblique du cirque, et j’arrivai aŭ cages, avec ma lampe allumée et mon revolver.

Je ne me souviens plus des détails. Au fond, tout contre les barreaŭ, la forme monumentale remua. Puis, gêné dans la souveraineté de son sommeil, le lion se leva en s’étirant, hostile, sauvage ; sa griffe déchira le plancher, un grondement rauque passa dans l’enfer de sa gorge.

Une rage folle me monta à la tête. J’étendis le bras. Une fois, deux fois, six fois, je fis peu.

Le fantôme hideux et colossal se dressa tout entier, comme une maison qu’une mine fait sauter. Il se secoua terriblement, il fit trembler, comme un ouragan, la cage et toute la baraque et, eût-on dit, la terre elle-même.

Puis il exhala un petit miaulement plaintif où l’on sentait une intime souffrance. Il souffla s’écroula, et je l’entendis lécher ses plaies.

Il devait avoir le cœur haché par les balles. En un instant son sang emplit la cage et s’égoutta au dehors.

J’étais glacé, hébété ; je ne savais plus rien.

Mais tout d’un coup, un remords aigu, déchirant, inouï, s’empara de moi. J’entrai dans la cage, j’allai à lui, je m’agenouillai, et j’entendis mes lèvres qui lui demandaient pardon. Il s’arrêta de se lécher, demeura un instant immobile, puis il s’appuya doucement sur moi, me présentant la blessure énorme d’où son sang coulait comme d’une source.

Nous restâmes ainsi tous les deux, côte à côte, à ne pas comprendre.

Le grand corps continuait à répandre son sang et à jeter un très léger râle, voilé, étouffé, comme destiné à moi seul. Ah ! ce cri trop petit qui semblait me parler tout bas !… La face gigantesque, hérissé, pleine de nuit, s’inclinait peu à peu vers le sol, et on voyait baisser comme une lampe les fanaux verts de ses yeux.

Penché, plié sur lui, je le regardais, et j’étais saisi par une sorte d ‘émerveillement à le voir créé si grand, si fort et si beau.

Je scrutais l’émeraude crépusculaire du regard, je contemplai de près les formes de son corps, ramassées, tassées et sculptées sous leur velours épais : l’admirable organisme assemblé pour une destinée extraordinaire, d’aventures et de victoires. J’étendis la main, et je touchai la tête, l’énorme tête inerte et obscure, et qui était tout de même un monde.

… Je le voyais de mieux en mieux, de plus en plus ; mon regard descendait en lui comme dans un décor nocturne. J’adorai sa gloire si simple, son ardeur, son amour féroce de la vie, la plénitude menaçante de son sommeil et l’étirement souple des faisceaŭ de sa chair, et la fête de ses repas, et sa fauve habitude native du désert avec les mirages, le jour, de l’oasis, et la nuit, des étoiles.

Et j’effleurai la patte posée trop doucement par terre, et mes doigts se mêlèrent aŭ griffes à demi sorties. Ses griffes ! C’étaient celles-là…Il l’avait tuée, elle, avec ces griffes. Il avait souillé la chair exquise avec ces griffes hideuses et criminelles.

Criminelles ?… Non ! innocentes. Il n’y avait qu’un criminel : moi !….

Et presque étendu sur ce corps dont les battements s’espaçaient, devenaient immenses, j’enlaçai de mes bras le colossal mourant, et je le serrai en tremblant contre moi, tandis qu’il abandonnait sa tête contre mon cœur !

Alors, comme un dormeur qui se réveille, comme un aveugle délivré, je vis la vérité changer de forme. Je me mis à démêler des choses plus terribles et plus douces que celles que j’avais jusque-là rêvées : le prix incalculable de la vie, du mouvement, de tout ce que, par une décision de mon jugement infirme, j’avais jeté à la boue, à la pourriture, à la poussière.

J’avais ajouté cette immobilité à l’autre – à celle du petit ange posé là-bas comme un crucifix. J’avais rendu la mort plus impitoyable et pus infâme.

Tout était pire qu’avant. Le meurtre de l’enfant et le meurtre du lion n’avaient aucun rapport, aucun. Dans un prodigieux effort, j’essayai de rapprocher ces drames, de les attacher l’un à l’autre, de les changer l’un avec l’autre, de ne pas les ajouter l’un à l’autre. Je ne pouvais pas, je ne pouvais pas !…

Il faut être fou pour poursuivre une vengeance. Pourquoi ? Parce qu’un malheur ne peut pas effacer un malheur. Pourquoi ? Je ne sais pas ; mais la vengeance n’est pas une chose humaine.

Et lorsque, malgré l’immensité et l’acharnement de mon regret, il mourut, moi, dans un pauvre cauchemar de fièvre, je ne pus m’empêcher de me balbutier qu’il était allé au paradis !

Depuis, j’ai rôdé bien des années… Mais si misérable que je sois devenu, j’ai gardé en moi un incomparable remords. Il y a quelque chose de profond que je sais et que j’ai vu : moi qui ai tué quelqu’un – non, pas quelqu’un… si, quelqu’un ! – je contiens un tel respect de la vie que je ne peux plus me tromper sur ce sujet-là, et lorsque, dans quelque champ, à l’écart, immobile comme un épouvantail, je vois des chasseurs, ou bien des enfants lâchés contre des papillons, ou même des pêcheurs, qui n’en savent pas autant que moi, je plains ces pauvres gens.

Parfois ma croyance m’oriente dans un autre sens, et je voudrais crier contre l’erreur de se venger et vous supplier tous de briser cet affreux lien que vous essayez de mettre entre les douleurs.

Il est difficile d’apercevoir la vérité, de la tenir dans son regard. Il faut, pour cela, une préparation et aussi un concours de circonstances. Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir, une fois dans la vie, par hasard, contemplé assez parfaitement une créature – fût-ce un animal – pour voir qu’il y a peu de vraie différence entre tous ceŭ qui peuvent souffrir. Dans le courant des jours, tout se trouble, l’erreur pèse d’un poids brutal, et nous sommes si petits que nos petites pensées nous cachent l’infini.





Henri Barbusse « nous autres » Flammarion 1914

07/02/2017

l'homme de génie est celui qui m'en donne !

PAUL VALERY ETAIT UN GARS TRES INTELLIGENT :

«L’homme de génie est celui qui m’en donne.»
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres, dans Œuvres II, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1960, page 881.

le précepte et l'exemple ! et voici la pratique et la preuve :


D'abord quelques citations sur la perception par exemple.

« Les mots sont les planches pourries qu’on jette sur l’abîme de la communication. Il faut passer vite desus. »

« Nous ne voyons pas ce que nous voyons. Nous voyons ce que la chose vue nous fait attendre à voir ….

"Nous ne percevons pas ce que nous percevons mais ce qu’il faut que nous percevions


« Tant que nous ne trouvons pas l’inarticulé, l’innominé, nous voyons en langage, et non en observation pure. »

« La vérité est un mot qui a plus de valeur que de sens. »

Et voici comme il résume toute la philosophie (en tout cas l'epistémologie):

"Le serpent se mord la queue. Au bout d'un certain temps de mastication, il reconnaît dans ce qu'il mange le goût du serpent. Il s'arrête alors.
Mais il s'y remet, n'ayant rien d'autre à se mettre sous la dent. A la longue il finit par avoir la tête dans sa gueule; il appelle ça une Théorie de la Connaissance."

Piero di Cosimo Simonetta Vespucci .jpg

Mais, il ne faut pas croire, ce n'était pas qu'un cerveau, comme la revue littéraire russe on peut dire de lui "Cerbe kaj kore", ce n'était pas qu'un philosophe mais aussi un poète.

«On ne sait jamais en quel point, et jusqu’à quel nœud de ses nerfs, quelqu’un est atteint par un mot, – j’entends : un signifiant. Atteint, – c’est-à-dire : changé. Un mot mûrit brusquement un enfant. Etc.»
– Paul Valéry, Tel quel [Choses tues], dans Œuvres II, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1960, page 495.

« Nos âmes peuvent se former, dans le sein même du temps, des sanctuaires … où elles se sentent créées par ce qu’elles aiment. »

« Mais si j’étais pour toi le compagnon des nuits, invisibles tous deux dans l’ombre au pied de l’arbre, réduits à nos deŭ voix, réduits à un seul être qu’écrase mêmement le fardeau de tant d’astres. »

«Variations sur Descartes.
Parfois je pense; et parfois, je suis
– Paul Valéry, Tel quel [Choses tues], dans Œuvres II, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1960, page 500.

ma vie indicible, ma vie
D’enfant qui ne veut rien savoir, sinon Espérer éternellement des choses vagues.
»



« L’homme n’est pas fait pour résoudre ses contradictions, mais pour les vivre.

05/02/2017

une citation de Wolinski

une citation que je place souvent maintenant, comme dit Wolinski « avant d’ouvrir une porte il faut l’entrouvrir », et même qu'avant de l’entrouvrir il faut d’abord mettre la main sur la clinche ! (ça c’est le programme de François Asselineau), et même encore avant il faut que quelqu’un aie le courage de dire (cf « le roi est tout nu ») : « on étouffe ici ! Il faudrait que quelqu’un ouvre une porte ! » Ça c’est Viviane Forrester, elle est non seulement humaine (et literaturément talentueuse), mais « historique », la parution de l’Horreur économique devra un jour être commémoré par un monument, ou au moins un titre de paragraphe dans les livres d’histoire.

20/01/2017

Evidence

 

La bonne santé d’une entreprise

se juge à ses profits.

C’est évident

comme est évidente

cette constatation :

la Terre est plate.


(Francis Combes in « Leçons de choses »)

Mardi 25 novembre 2008

04/01/2017

Tupic

(pour ceux qui n'ont pas connu je rappelle que les papiers tue-mouches "tupic" étaient des bandes de papier imprégné d'insecticide, on y mettait le feu et on les voyait se consumer petit à petit du bas vers le haut)

 

Les corps de ceux qu’on aimait brûlent et disparaissent comme des tue-mouches Tupic.

La vie brûle à tout jamais comme les tue-mouches Tupic.

Et les parties de cartes qu’on a jouées

et la musique sur le clavier

et les lendemains

et les mains.

 

 

 

(R P poèmes en prose)

02/01/2017

se trouvera-t-il quelqu'un

Minerva Jones

Je suis Minerva, la poétesse.
On me siffle, moquée dans les rues par les bourrins
à cause de mon corps lourd, l’œil poché, le pas chancelant
et c’est pire quand Weldy la brute m’a capturée après une traque violente.
Il m’abandonna dans la mort, qui me figeait, depuis les pieds,
comme qui pénètre toujours plus profond dans un rayon de glace.
Se trouvera-t-il quelqu’un pour aller voir les journaux,
et recueillir dans un livre les vers que j’ai écrits ? —
J’ai tant eu soif d’amour !
J’ai tant eu faim de vie !

 

(Edgar Lee Masters)

30/12/2016

"j'ai bien peur que la fin du monde soit bien triste" - tout est dit, avec allusivité et pudeur Brassens atteint le fond de la détresse

28/12/2016

mains de maman

Donne-moi tes mains pour l'inquiétude
Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé
Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi te mains que je sois sauvé

Lorsque je les prends à mon pauvre piège
De paume et de peur de hâte et d'émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fond de partout dans mes main à moi

Sauras-tu jamais ce qui me traverse
Ce qui me bouleverse et qui m'envahit
Sauras-tu jamais ce qui me transperce
Ce que j'ai trahi quand j'ai tresailli

Ce que dit ainsi le profond langage
Ce parler muet de sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots

Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent
D'une proie entre eux un instant tenue
Sauras-tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura connu d'inconnu

Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme
S'y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.

27/12/2016

Sen ia ajn kareso karna homa

us vous souvenez de Marjorie boulton, la si émouvante poétesse espérantiste ?

SOLECO


Sen seksa juko homo povas sidi ;
Ni povas trolabori, aŭ bromidi.

La karno povas vivi tute sole,
Sen ajna tuŝ' tenera kaj konsola
En frosta lito sen elektra tremo,
Kaj, plie, sen amika varm’ nek manpremo,
Sen ia ajn kareso karna, homa,
Onklina kis’ formala, stacidoma,
Kaj iel, certe, kvankam altakoste,

Ni povas vivi ĉiam karnofroste.
Sed ĉiam ni sopiras al satigo
Alia, per la intelekta ligo,
Trovi, en nia fora alieco,
Ian estajon de la sama speco !
Ho sola, stela viv’, sen aliancoj,
Vivo de nigra spaco kaj distancoj !
Kial mi tiel pensas pri intimo,
Mi, sola kiel stel’ en malproksimo ?
Kuraĝajn stelojn povas mi adori…
Ĉar mi neniam aŭdis stelon plori.


(1953)

Marjorie Boulton



c'est un peu la prise de conscience de ce gouffre chez une anglaise protestante que Marjorie a si bien décrit dans l'amusant?/poignant? récit Ebrivirgeco :

16/12/2016

la vie humaine vue par Gao Xingjian

un autre extrait de son oeuvre inclassable, courte (29 pages), mais capitale, "instantanés" :

 

"......

À cet instant, le quatrième homme est arrivé, vêtu d’une veste de cuir. Sans dire un mot il s’est joint aux autres pour tirer la corde. Tous s’appliquent, impassibles. La corde se tend. Ils tirent dessus de toutes leurs forces avec persévérance, en la faisant filer entre leurs mains.

 

« Un petit chinois… », le vieux noir chante en anglais sans lui jeter un regard. La vieille Noire caresse son clavier, presque couchée sur le piano, elle balance son corps en mesure, absorbée par la musique, comme si elle était ivre ou passionnée, elle ne le regarde pas non plus. Il ne s’occupe que de boire sa bière. Sous la lumière bleue fluorescente du bar, personne ne regarde personne. L’assistance, emportée par la musique, ressemble à un groupe de marionnettes qui remuent la tête.

 

Le cheval a cabré ses pattes de devant. Des pattes couvertes de poils. « Il vagabonde dans le monde... »  le chant du vieil homme noir reprend.

 

La vieille femme noire plaque un accord, le sol résonne sous les sabots des chevaux. « Il vagabonde dans le monde…. Il vagabonde dans le monde... »

Le vieil homme noir s’accompagne à la batterie et l’assistance hoche la tête en rythme.

 

La corde file de main en main ; dessous, les pieds chaussés de cuir sont solidement ancrés sur la pelouse verte.

 

L’écume vole en l’air, les vagues frappent la digue. En bas la marée grossit, la plage a déjà complètement disparu. Le soleil est toujours aussi brillant, mais le ciel et la mer paraissent d’un bleu encore plus soutenu.

 

L’extrémité de la corde finit par apparaître. Un énorme poisson mort accroché à un hameçon rouge est tiré sur l’herbe verte. Il a la gueule grande ouverte, comme s’il respirait toujours ; en fait il est mort. Son œil tout rond n’a pas d’éclat, mais il a encore une expression de frayeur."