« Dans l'état sauvage, l'homme ne connaît d'autre justice que celle qu'il se fait lui-même. De son côté, la société civilisée n'admet pour l'injure d'autre satisfaction que le recours aŭ tribunaŭ institués par elle. Le duel est une sorte de compromis entre la réparation légale et la vengeance individuelle, entre le bourreau et l'assassin.
Dans les Etats du Nord de l'Amérique, le duel a perdu tout empire; la loi y règne souverainement. On peut également dire qu'il n'existe pas dans les Etats de l'Ouest et dans quelques nouveaŭ Etats du Sud; mais c'est par une autre raison. La loi y est impuissante, et les moeurs y sont presque barbares. On ne le rencontre plus que dans les Etats du Sud qui ont une vieille civilisation, et où cependant les habitudes et les moeurs sont encore plus puissantes que les lois.
Dans toute la Nouvelle-Angleterre, à New-York, en Pensylvanie, la loi punit le duel comme le meurtre (1) toutes les fois qu'il est suivi de mort.
(1) V. general Laws of Massachusetts, t. II, p. 121, chap. 123, sect. 5 et 6, etc.; chap. 124, sect. 1, 2 et 3, P. 501. - Statuts révisés de New-York, 4e partie, titre 5, art. 1 § 1 et 2; t. II, p. 686. - Purdon's digest, vº Duelling.]
Elle porte en outre des peines sévères contre l'envoi ou la réception d'un cartel non suivi de combat, et contre les témoins et tous ceŭ qui, par leur aide ou assistance dans le duel, peuvent être considérés comme complices. Cette complicité est punie, dans l'Etat de New-York, d'un emprisonnement dont le maximum est de sept années. Un châtiment sévère est également appliqué à celui qui reproche publiquement à une autre personne de n'avoir pas accepté un duel. «Quiconque, dit la loi de Pensylvanie, publiera dans les journaŭ ou par lettres missives écrites ou imprimées qu'un tel est un poltron, un misérable, un homme sans foi, ou autres imputations injurieuses de ce genre, pour avoir refusé un duel, sera puni d'une amende de 500 dollars et d'un an de travaŭ forcés (hard labour); l'éditeur ou imprimeur des pamphlets sera, dans tous les procès de ce genre, cité comme témoin, et admis comme tel par les cours de justice contre l'auteur de l'écrit; et si lesdits imprimeur ou éditeur, appelés devant la, justice, refusent de déclarer le nom de l'auteur, la cour devra les considérer comme auteurs du libelle, et les condamner en conséquence (1).»
(1) V. Purdon's digest, vº Duelling.]
Dans ce pays, la loi sur le duel n'est pas une vaine menace, bravée par l'opinion publique: elle est entièrement d'accord avec les moeurs; là on ne se bat plus en duel.
Il est certain que, dans la Nouvelle-Angleterre, aucune injure, pas même un soufflet reçu ou donné, n'entraîne pour conséquence un combat singulier, et, ce qu'il y a de plus remarquable, ce n'est pas le fait, mais bien l'opinion qui s'y rattache; là, le sentiment public approuve hautement celui qui refuse un duel, comme elle le blâmerait chez nous. Je pourrais à ce sujet citer les exemples de plusieurs personnes fort honorables de Boston, dont la considération s'est accrue par des refus de duel qui, en Europe, les eussent déshonorées. Cette rigueur des lois, sanctionnée par l'opinion générale dans la Nouvelle-Angleterre, me paraît tenir à plusieurs causes que je ne ferai qu'indiquer: la teinte religieuse imprimée aŭ moeurs par le puritanisme des premiers colons; des habitudes sérieuses; une vie régulière, toute consacrée aŭ affaires; l'absence de divertissements, de jeŭ, de plaisirs bruyants, de galanteries; et enfin l'esprit d'obéissance aŭ lois qui domine dans une république bien réglée, esprit d'obéissance dont le duel est une violation.
Si l'on se bornait à consulter les lois sur la question du duel, on pourrait penser que le Sud des Etats-Unis est à cet égard, en tous points, semblable au Nord. En effet, nous trouvons, dans le code de la Caroline du Sud et celui de la Louisiane, les mêmes dispositions contre le duel que dans les lois de la Nouvelle-Angleterre (2).
(2) V. Digeste des lois de la Louisiane, t. 1er, p. 476. Le duel suivi de mort est puni de la peine capitale. L'envoi ou l'acceptation d'un cartel, le duel non suivi de mort, l'assistance donnée au duel comme témoin, sont punis d'un emprisonnement dont le maximum est de deŭ années et d'une amende de 200 piastres.
V. aussi Brevards digest of south Carolina, vº Duelling, tome 1er, page 272. Celui qui tue un autre en duel et ses témoins sont punis comme meurtriers (murderers). Le duel non suivi de mort, l'envoi ou l'acceptation d'un cartel, l'assistance des témoins, sont punis d'un an d'emprisonnement et de 2,000 dollars d'amende. (10,600 francs.)]
Mais le duel, dont la coutume tient aŭ préjugés de l'honneur, est peut-être de toutes les actions de l'homme celle sur laquelle la loi a le moins de puissance. On a toujours vu les lois les plus sévères inefficaces contre le duel, lorsque ce genre de combat était protégé par les moeurs; et il est exact de dire qu'en cette matière la loi n'est respectée que le jour où elle n'est plus nécessaire.
Dans les Etats du Sud, tels que la Virginie, le Maryland et les deŭ Carolines, des peines sévères sont portées contre le duel; cependant l'on s'y bat sans cesse en duel et avec impunité. La justice n'interviendrait que s'il y avait dans le fait du duel des circonstances qui le rendissent semblable à un assassinat; mais toutes les fois que le combat s'est passé loyalement, c'est-à-dire qu'il y a eu fair duel, comme on dit en Amérique, les auteurs du duel ne sont jamais inquiétés. L'éditeur des lois de la Caroline du Sud ne peut s'empêcher à cette occasion de mettre en note l'observation suivante: «La sévérité de la loi, dont l'objet était de prévenir les fatales conséquences de ce triste préjugé, semble avoir entièrement manqué son but; car on sait qu'il n'y a pas d'exemple (dans ce pays du moins) d'un duelliste condamné comme coupable de meurtre (1).»
(l)Brevards digest, vº Duelling. t. 1er, p.272.]
D'où vient cette différence de moeurs entre le Sud et le Nord? Les causes principales, dont je ne présente ici qu'un aperçu, sont
1º La civilisation moins avancée des Etats du Sud;
2º Le climat, qui rend les habitants du Sud plus prompts aŭ mouvements violents, et excite leurs passions;
3º L'indolence des hommes du Sud, qui, ayant des esclaves, ne travaillent pas. Les jeŭ, les amusements, les débauches, tous les plaisirs des sens, y sont beaucoup plus fréquents que dans le Nord; il n'est pas une de ces choses qui ne soit une source de querelles, et conséquemment de duel. L'oisiveté, le désordre qu'elle engendre, le trouble qu'elle jette dans les idées et dans les actions, favorisent le duel, comme le travail et les habitudes
régulières qui en découlent le combattent.
4º L'existence dans le Sud de la population esclave, c'est-à-dire d'une classe inférieure. Les rangs établis dans une société favorisent le duel. Il se forme, parmi les membres d'une classe privilégiée, des traditions d'honneur et de bienséance, des préjugés de caste, des besoins de distinction, qui doivent rendre le duel plus fréquent que dans une société d'égalité parfaite.
Du reste, même dans les Etats du Sud, le duel repose plutôt sur des idées de justice que d'honneur.
Chez nous l'outrage qui rend un duel nécessaire est bien moins dans le fait que dans l'intention. Aussi voyons-nous les causes les plus frivoles servir d'occasion à de graves querelles.
L'injure étant tout idéale et de convention, elle n'a point d'équivalent possible: le duel seul peut la réparer.
Dans le Sud des Etats-Unis, au contraire, c'est le fait matériel qu'on venge par le duel, bien plus que l'intention; et ce fait est appréciable comme tout dommage ordinaire.
Un exemple va rendre sensible cette différence.
En Amérique, dans plusieurs Etats du Sud, si celui qui a reçu un soufflet en rend un autre, on estime que les parties sont quitte, et la querelle en reste là. Pourquoi? C'est qu'en partant du point rationnel, un fait est l'équivalent de l'autre; il y a deŭ injures parfaitement pareilles qui se compensent; chaque bassin de la balance est chargé d'un poids égal; il y a réparation logique. Celui qui fait ce raisonnement pèche, il est vrai, contre la société, qui défend à ses membres de se faire justice eŭ-mêmes; mais c'est là son seul tort; car du reste il est dans les principes du droit.
Chez nous, au contraire, comme on procède d'un autre principe, qui est le préjugé de l'honneur blessé, on arrive à une tout autre conclusion. Nous disons: «Celui qui a reçu l'offense d'un soufflet est couvert d'infamie s'il ne lave son injure dans le sang de l'offenseur. En a-t-il rendu un autre; l'agresseur qui l'a reçu se trouve dans une position identique, et sera frappé du même déshonneur s'il n'obtient pas la même réparation que son adversaire est forcé de lui demander; de sorte qu'au lieu d'une personne qui a besoin du duel pour se réhabiliter, il y en a deŭ.»
J'ai dit en commençant que, dans les nouveaŭ Etats de l'Ouest et dans quelques Etats nouveaŭ du Sud, le duel n'existe pas; là, comme dans le reste de l'Union, le duel est sévèrement puni par la loi (V. Statute laws of Tennessee); mais ce n'est pas la loi qui, dans ces Etats, l'empêche; c'est la barbarie des moeurs. Là on se bat et l'on se tue plus qu'ailleurs; mais le duel s'y montre avec des formes tellement sauvages, qu'il perd son nom pour prendre celui d'assassinat. Il n'est pas sans doute sans exemple que, dans le Kentucky, le Tennessee, le Mississipi, la Georgie, Alabama et dans une partie de la Louisiane, des duels véritables n'aient eu lieu et se soient passés loyalement; mais le plus souvent les combats que se livrent deŭ individus sont des attaques imprévues, instantanées ou des guet-apens. Dès qu'une discussion s'élève entre deŭ hommes, pour peu qu'elle devienne vive et qu'un mot injurieŭ soit prononcé, vous les voyez aussitôt se placer dans l'attitude de deŭ combattants; armés d'un poignard et d'un couteau dont tout habitant de ces contrées est nanti, ils se frappent l'un l'autre avec une extrême rapidité; et celui qui tarderait à se préparer à la lutte serait victime de son hésitation. Il arrive souvent que de vieilles querelles qu'on croit éteintes depuis long-temps se raniment au bout de deŭ ou trois ans, et leur réveil s'annonce par le meurtre de l'offenseur ou de l'offensé.
Les causes de cet état de choses sont nombreuses; j'indiquerai les principales. Dans les pays dont il s'agit ici, la société est en quelque sorte naissante. L'individu est réduit à ses propres forces pour soutenir son existence, pour se protéger dans sa demeure isolée de toute habitation. Il n'entre que fort rarement en contact avec la société civile, et s'accoutume à devoir tout à lui-même; de là le principe de se faire justice, au lieu de la demander à la loi. Une des conséquences nécessaires de la vie sauvage est de placer le plus grand mérite de l'homme dans sa force physique, et d'attribuer une plus grande part à l'individu qu'à la société. Ce même fait doit se trouver chez tous les peuples, selon que leurs moeurs se rapprochent plus ou moins de l'état sauvage.
Les habitants de l'Ouest et du Sud, dispersés çà et là au milieu d'immenses contrées, n'entretiennent entre eŭ que de rares communications; le plus grand nombre ont des esclaves, et par conséquent ils ne travaillent pas; tout leur temps se passe entre la chasse et l'oisiveté. C'est la vie féodale sans la chevalerie, sans la galanterie, sans l'honneur. Enfin les rapports avec leurs esclaves leur donnent des habitudes de domination et de violence qui sont en opposition directe avec les principes de l'état social. Il faut ajouter à ces faits que l'instruction est beaucoup moins répandue dans ces Etats que dans le Nord, et que la religion n'y
est point aussi éclairée.
Le plus souvent, lorsque des meurtres sont commis avec les circonstances qui ont été rapportées plus haut, aucune poursuite judiciaire n'est dirigée contre les coupables; quelquefois une plainte est portée devant les magistrats; ceŭ-ci conduisent les inculpés devant le jury, qui ne manque jamais de les acquitter. Le jury ne condamne point de pareils faits, parce qu'il est composé d'hommes dont les moeurs sont à demi sauvages; et chacun se trouve encouragé à ces sortes de violences, parce que le jury les acquitte.
Pour ces peuples encore barbares, le duel avec ses formes polies, ses témoins et ses garanties de loyauté, serait un bienfait.
Ce n'est donc point parce que la loi est, dans l'Ouest, plus puissante que les moeurs, que le duel ne s'y trouve pas, mais bien parce qu'un reste de barbarie y entretient des habitudes sauvages que la loi ne corrige pas et qui ne sont point adoucies par les moeurs.
Du reste, on peut dire en général que le duel a plus ou moins de force dans un pays, selon que l'esprit d'obéissance à la loi y est plus ou moins puissant sur les moeurs.
Il faut ajouter que, partout où le sentiment de l'honneur est fortement établi, le duel se maintient en dépit et des lois et du progrès des moeurs. C'est ainsi qu'il se perpétue dans l'armée et dans la marine américaine, parce que là il trouve un appui permanent dans l'honneur, principal mobile de tous les corps armés.] »
Pour lire le livre dans son intégralité c’est ici :
http://abu.cnam.fr/cgi-bin/donner_html?marie1
« L’homme … qui a vécu, et vécu avec intelligence, ne peut être qu’un « monstre de complexité. Mais il la cache d’ordinaire, car sa complexité, mieŭ connue, le rendrait insupportable au monde. »
et puis il a dit aussi :
« … ce que, depuis plus de quarante ans, je ne cesse de répéter dans mes livres…. Que le grand événement de la vie est d’aimer (non pas d’être aimé) … toutes ces formes (d’amour) ont quelque chose en commun : l’attrait de l’être pour l’être, et c’est lui le grand événement de la condition humaine… Quand je me retourne je ne dis pas : - voici ce que j’ai fait … mais voici ceŭ que j’ai aimés, et voici ceŭ que j’aime encore. »