Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/09/2025

toute l'histoire des hommes n'est rien d'autre que l'histoire de la lutte des classes

les BAGAUDES, première lutte des classes gallo-romaine

Les Alpes purent rester longtemps un repaire rebelle : nous y retrouvons les successeurs des bagaudes au Xème siècle, en particulier sous le nom de marrons, des servi ensauvagés sans doute (ce même mot qui dans un autre monde et un autre temps s'imposera pour d'autres esclaves fugitivi)5.

Le même Zosime nous apprend qu'au début du siècle "toute l'Armorique et d'autres provinces gauloises s'affranchissent en imitant les Bretons : après avoir chassé les gouverneurs romains, elles se donnent un gouverneur à leur guise"6. Il ne s'agit sans doute pas d'une révolte principalement sociale, mais d'une lutte autonomiste de l'Armorique et peut-être plus largement de ce que l'on nomme Tractus Armoricanus et qui couvre toute la Gaule de l'Ouest. Ces révoltes armoricaines furent souvent celles des Grands, des propriétaires de domaines, des cités (de leurs notables) : à l'instar de ce qui s'était passé en Bretagne, on remplaçait les chefs romains par une aristocratie peut-être restée plus indigène et certainement devenue autonomiste. Cette ligue urbaine et aristocratique est restée très vivace jusqu'en 451, voire même au-delà7. Quand les textes parlent des "armoricains", on ne sait s'il s'agit de contingents "romains" d'Armorique, d'autonomistes armoricains ou de... bagaudes8. En effet, la "Gaule ultérieure" ou le Tractus Armoricanus fut aussi un théâtre d'opération pour les servi révoltés dans cette première partie du Verne siècle. Nous sommes sans doute en présence d'une articulation complexe entre guerre de sécession et guerre sociale, un mélange "classique" dans l'histoire !

On a surtout connaissance des bagaudes dans l'Ouest de la Gaule, et plus précisément dans les régions de la Loire, grâce à une comédie, le Querolus, qui décrit, vu par les maîtres et leurs stipendiés, la façon dont sont censés vivre ces hommes ensauvagés dans une zone "libérée"9 et par le De reditu suo (Sur son retour) de Rutilius Namatianus qui, lui, nous parle du rétablissement de l'ordre dans ces mêmes régions d'Armorique, au sens large10 : deux indices qui se recoupent.

On a cru découvrir des bagaudes, pour ces mêmes vingt premières années du siècle, dans une phrase de Sozomène qui décrit des paysans et des esclaves de villae venir appuyer une armée en campagne contre les troupes d'un usurpateur breton11. Il s'agissait en fait des propres esclaves de Didymus et Verinianus, deux Espagnols de la famille de Théodose, qui tentaient de s'opposer au passage du fils de l'"usurpateur" Constantin12.

Tandis que les campagnes se libèrent, nous voyons dans les villes des esclaves se liguer avec des pauvres libres et fomenter des révoltes. Nous avons sur ces séditions urbaines quelques renseignements tirés d'Oriens13 et de Paulin de Pella14.

Pour la période suivante (les années 430-450) nous serons informés sur les hommes qui fuient vers les bagaudes (quilombo?), les causes de ce comportement, grâce surtout à Salvien15. Mais nous découvrirons aussi ces guerres sociales (ou/et sécessionistes) et le développement de la répression, essentiellement grâce aux Chronica Gallica16, à Constance de Lyon par sa Vita de Saint Germain17 et à Flavius Mérobaude18. Idace19 nous renseigne dans ses Chroniques sur les bagaudes espagnoles et leur écrasement.

Pour présenter ces mouvements sociaux, et leur répression, nous ne suivrons pas simplement l'ordre historique et nous ne reviendrons pas sur les bagaudes des Alpes. Nous commencerons par essayer de comprendre ce qu'étaient ces bagaudes, c'est-à-dire d'où ils venaient, pourquoi des hommes se joignaient à eux et comment ils étaient organisés, comment ils vivaient. Nous aborderons aussi le cas particulier des séditions urbaines. Puis nous suivrons ce qui nous semble être les étapes de la répression organisée essentiellement par Aetius et réalisée grâce aux auxiliaires huns ou alains.

A- Qui rejoint les bagaudes ?

Dire "rejoindre les bagaudes" suppose que celles-ci pré-existent. Il semble en effet que le retour à l' « ordre » du IVème siècle n'ait pas éliminé les bagaudes, mais les ait seulement forcées à se replier vers les montagnes et les forêts. Toute crise de l'Etat, toujours renforcée par les invasions barbares, permet aux bagaudes de sortir de leurs maquis pour élargir le territoire libéré, et surtout pour piller la partie "civilisée", "utile" des Provinces : attaquer les villae (= fazendas, estancias), cerner et prendre des vici, ces grosses bourgades, et même encercler les villes. Sans parler, naturellement, de l'accroissement de l'emprise de ces bandes sur les grands chemins. Les bagaudes recrutent dans ces périodes en libérant les servi ou les coloni des villae attaquées et prises, surtout en regroupant les fugitivi.

Qui sont ces hommes qui prennent la fuite vers les bagaudes, qui se soulèvent contre ce qui reste de l'ordre romain, qui se comportent comme des bandes de brigands ou de Barbares, qui semblent parfois tenir des régions entières dans le nord-ouest, le centre et l'ouest de la Gaule, sur la Loire en particulier, dans les Alpes, le Pays Basque, l'Espagne, peut-être même un moment l'Aquitaine (avant que les Visigoths se retournent contre eux)20. Certainement le plus souvent ce sont des ruraux : des anciens propriétaires spoliés, des paysans dépendants, des colons, les esclaves des villae. On y trouve sans doute aussi des citadins, libres et pauvres, ruinés par le fisc et la justice ou membres de cette "plèbe" qui anime les séditions populaires dans les villes, des esclaves des industries d‘Etat qui fuient une atroce condition, des esclaves artisans urbains ou domestiques également fugitivi.

Les uns sont chassés par les bandes guerrières, par des propriétaires expropriateurs, par les dettes, le percepteur ou le juge : ils ont abandonné leurs champs, leur maison, leur village ou leur ville. Les autres sont en fuite : les coloni et les servi. La première catégorie rassemble les nouvelles victimes de la dynamique sociale, des invasions, du nouveau terrorisme d'Etat. La seconde regroupe les hommes qui se libèrent par la fuite et souvent prennent les armes, ne serait-ce que pour survivre. Tous combattent, pour se nourrir, pour piller, pour résister à la répression romano-barbare, pour leur liberté ou pour éviter la torture et la mort.

Ces groupes qui forment les bagaudes sont le "fer de lance" de deux catégories plus vastes : celle des hommes qui voient s'abaisser, voire s'effondrer, leur position sociale (en particulier les expropriés pour causes diverses), celle des hommes qui améliorent leur position (les esclaves qui se casent, qui sont casés de fait21). En effet, les propriétaires ayant perdu leurs terres, les nouveaux pauvres des campagnes ou des villes peuvent souvent rester sur place en se soumettant, en devenant colons de l'expropriateur. Parfois être chassé est déjà le début d'une lutte ! D'autre part, les esclaves en fuite, surtout ceux en armes des bagaudes, imposent aux maîtres l'abandon des anciens modes d'exploitation centralisée des hommes et des terres, lorsqu'ils subsistent, facilitant la lutte des esclaves restés sur place.

Salvien22 va nous donner des renseignements sur ces deux groupes : ceux qui, esclaves ou colons, s'enfuient ; ceux qui, libres, sont chassés par le terrorisme étatique et aristocratique qui les exproprient.

Les esclaves :

Nous avons dit l'existence de nombreux esclaves au IVème et au début du Vème siècles dans les cités, domestiques, artisans ou ouvriers des manufactures d'Etat, dans les mines, dans les villae, souvent casés ou tout au moins dotés de portiunculae, de jardinets produisant leur propre nourriture, parfois encore travaillant en chiourme qu'ils soient logés dans les dortoirs et nourris dans le réfectoire de la villa, ou qu'ils dorment ou mangent dans leur "case". Nous avons vu que, sans doute, il y eut remontée de l'esclavage, et, au sein de l'esclavage, de la chiourme, avec le retour à l'ordre du IVème siècle. Ajoutons que la condition des colons s'était considérablement dégradée, au point qu'ils étaient considérés comme des esclaves, voire que les esclaves étaient considérés comme des colons ! La majeure partie de la paysannerie était attachée au sol, "esclave de la terre" et donc au pouvoiir du maître de cette terre.

Nous découvrirons26 que lors du soulèvement dirigé par le chef bagaude Tibatto, "presque tous les esclaves des Gaules le rejoignent".

Les maîtres craignent ces bandes d'esclaves et de colons révoltés. Ils craignaient même souvent pour leur vie. Sidoine Appolinaire raconte la mort de son ami Lampridius, attaqué et étranglé par ses esclaves27 et il n'est pas étonnant que par exemple le Code Théodosien prévoit le bûcher pour les esclaves qui attaquent leurs maîtres28. Les périodes troublées des invasions, des grandes bagaudes, virent les villae brûler, les esclaves gagner en masse les maquis, sans doute après avoir réglé quelques comptes avec les intendants et contremaîtres. En temps ordinaires, les esclaves devaient se contenter de la fuite solitaire vers d'autres maîtres ou vers les groupes déjà formés de résistance armée. La répression publique contre ces bandes bagaudes, nous le verrons, fut certainement féroce. La répression "familiale" contre les esclaves qui, restés sur place, sabotent ou s'apprêtent à fuir, semble l'avoir été tout autant. Rien ne pouvait alors empêcher cet exode massif des servi ou des coloni vers les zones forestières ou montagneuses, vers les régions provisoirement libérées socialement. D'autres esclaves (les plus nombreux ?) tentaient de trouver une place de colon dans une grande propriété, allaient traîner dans les villes, mendiant, voleurs souvent, voire allaient défricher un coin de clairière (mais c'est déjà bagauder).

Salvien nous parle des esclaves essentiellement pour démontrer que les maîtres, les nobles, sont pires qu'eux, et comme les esclaves sont indiscutablement mauvais et détestables29, les maîtres sont monstrueux. La comparaison est complète puisque les maîtres sont, à leur tour, esclaves de Dieu qu'ils devraient servir fidèlement. Salvien, s'adressant aux maîtres, leur dit : les crimes ou péchés commis par les esclaves (crimes que les maîtres connaissent bien puisqu'ils s'en plaignent continuellement) sont de même nature que ceux que vous commettez vous ! Ce rapprochement, en soi, est déjà contestataire: c'est un peu comme expliquer aujourd'hui que les luttes ouvrières, voire la criminalité politico-sociale répondent au terrorisme d'Etat, aux pratiques anti-ouvrières du patronat.

De quels esclaves s'agit-il ? Des domestiques, des "ouvriers" des esclaves en chiourme des villae ? Sans doute de toutes ces catégories. Il est possible que Salvien fasse même implicitement référence aux esclaves productifs (ruraux ou manufacturiers) et à un système de gestion centralisée de la force de travail lorsqu'il parle des contremaîtres, des intendants, des dénonciateurs qui terrorisent les esclaves. Ajoutons que l'on ne peut pas tirer de ce texte d'indication sur l'importance de ces diverses catégories d'esclaves, encore moins sur le nombre d'esclaves en Gaule. Mais Salvien nous dit comment ils sont traités et comment ils ripostent à ces traitements par ce que les maîtres considèrent comme des crimes.

D'abord, les esclaves sont voleurs30. Pourquoi ? Ils y sont poussés, malgré eux, par la misère, le dénuement. Si ce qu'on leur donne correspond à la coutume, à la règle (quand on le leur donne !), cela ne suffit pas à satisfaire leurs besoins31. C'est pour cela qu'ils sont aussi gloutons et avides32 dès qu'ils ont la possibilité de manger à satiété, surtout lorsqu'ils ont chapardé un bon morceau qui change leur ordinaire, mais le plus souvent parce qu'ils ont (trop) supporté la faim. Surtout, ils s'enfuient. Ils y sont forcés, explique Salvien, par la misère et surtout par les supplices qu'ils subissent33.

Le plus souvent les esclaves ne subissent pas directement le terrorisme de leur maître, mais celui des intendants (en Ukraine rive droite XIXè siècle donc non pas les propriétaires nobles polonais, mais les intendants juifs ! D’où l’antisémitisme), des contremaîtres, des dénonciateurs, des "petits chefs", esclaves eux aussi34, des « kapos » quoi, qui font fonctionner la villa esclavagiste de la façon dont columelle le décrivait pour le premier siècle35. Des esclaves torturent d'autres esclaves, appliquent la terreur pour le compte d'un maître parfois absent, et qui peut même apparaître comme le suprême recours des esclaves suppliciés par les "kapos" ! On comprend aussi pourquoi les esclaves seront menteurs : "ils mentent pour éviter la torture"36. Ces passages paraissent caractéristiques du système de gestion centralisée de travailleurs forcés, la chiourme encore très présente à l'heure où écrit Salvien. On est loin de la vision idyllique des relations maîtres-esclaves telles que certains historiens les imaginent à partir d'améliorations juridiques du statut servile qui n'étaient - en fait - appliquées qu'à certaines catégories urbaines privilégiées. Ces esclaves affamés, terrorisés, torturés, s'ils le peuvent, deviennent forcément fugitivi. Notons que Salvien, écrivant pour convaincre les maîtres, prête aux esclaves de "bons sentiments" d'esclaves fidèles. Seules les tortures qu'infligent les "petits (et grands) chefs" (peut-être "dans le dos des maîtres") forcent les esclaves à déserter37.

Ne nous laissons pas abuser par ces remarques sur la responsabilité des contremaîtres. Plus loin, Salvien nous parle des maîtres qui tuent leurs esclaves, beaucoup plus nombreux que les esclaves qui assassinent leurs maîtres. En effet, les esclaves craignent d'être mis à mort pour leur crime, alors que les maîtres sont sûrs de l'impunité (où sont donc ces règles juridiques qui protégeraient les esclaves ?). Jugeant qu'il ne s'agit pas d'un crime, mais d'un droit, ils ne pensent même pas pécher38. Intéressant passage où nous voyons Salvien mentionner une autre forme de combat servile que la fuite et mettre sur le même plan l'assassinat d'un maître par un esclave et son contraire !

Salvien ne nous dit pas où vont ces esclaves fugitivi. Sans doute était-ce clair pour ses lecteurs. Nous pouvons en avoir indirectement une idée car il est beaucoup plus explicite39 lorsqu'il s'agit des libres qui sont contraints au départ parce qu'on leur a pris leurs terres et que les impôts les étranglent. Il est probable que les esclaves contraints à la fuite par les tortures que leur infligent les maîtres et leurs stipendiés devaient suivre des chemins peu différents de ces pauvres libres, ruinés, expropriés et risquant d'être réduits en esclavage.

Les pauvres :

Les diatribes de Salvien contre les riches expropriateurs et l'iniquité d'un système fiscal qui permet de ruiner les faibles au profit des Grands sont connues :

Il y a d'abord l'expropriation par le terrorisme que les puissants font subir à leurs voisins. Se comportant en voleurs, en brigands, ils prennent les biens des pauvres et s'approprient même leur personne40. (cf au Chaco l’expropriation des paysans, cf la chanson de Keny Arkana « Victoria »)

Il y a ensuite les charges publiques qui permettent à un petit nombre de ruiner tout le peuple. "La préfecture de certains, que je ne nommerai pas, est-elle autre chose qu'une pâture ? Il n'y a pas de pire ravage pour les pauvres gens que le pouvoir politique les charges publiques sont achetées par un petit nombre pour être payées par la ruine de tous"41. Et Salvien cite trois régions ravagées par ces sublimes42 : l'Espagne, l'Afrique, la Gaule. Notons, sans nécessairement y attacher une importance décisive, qu'il s'agit de l'Afrique de la révolte des circoncellions43, de la Gaule et de l'Espagne des bagaudes, ces deux dernières étant explicitement citées comme zones bagaudes par Salvien dans le Livre suivant44.

Il y a le système fiscal qui permet à quelques-uns de considérer "les contributions publiques comme leur proie"45. On sait que les curiales, responsables sur leurs propres biens du rendement de l'impôt, avaient une situation intermédiaire pas toujours enviable. Souvent soumis à la pression des Puissants qui élèvent les charges, ils doivent ruiner leurs concitoyens pauvres, prendre jusqu'aux biens des veuves, des orphelins, de l'Église46. Plus généralement, les Grands font fonctionner le système fiscal exclusivement à leur profit et comme un moyen d'expropriation des pauvres, voire de réduction de ceux-ci en quasi-esclavage. Et les clercs se taisent, épouvantés, craignant de rendre les Puissants pires encore47.

Que peuvent faire ces pauvres, libres, mais ayant tout perdu, leurs terres, leurs maisons, endettés et craignant pour leur vie et leur liberté ? Ils émigrent chez les Barbares ou s'enfuient vers les bagaudes, ce qui revient à devenir, explique Salvien, identiques aux Barbares48. Tel est le cas d'une grande partie des Espagnols et d'une fraction non négligeable des Gaulois, précise-t-il49.

Les bagaudes : des hommes contraints à devenir semblables aux Barbares. Le lien bagaude-Barbare est aussi révélateur que le lien bagaude-sauvage sur lequel nous reviendrons50. En effet, les bagaudes sont hors-la-loi romaine, ils ont perdu le droit à la liberté romaine ainsi qu'au nom de Romain : ce ne sont plus des citoyens, ce sont des rebelles (rebelles), des "desperados" pourrait-on dire (perditos). Pour Salvien, nommer ces hors-la-loi des bagaudes revient à leur donner un nom d'infamie, synonyme, justement, de rebelle, de "desperados"51. Bagaude, “ce nom de malheur" qu'on leur attribue (et non qu'ils se seraient donnés52 et qui vient des temps anciens et tragiques de la grande libération du IIIème siècle. Ces "quasi barbari" ont été contraints à devenir des criminels par les exactions des puissants. Ne pouvant continuer à être des citoyens53, il ne leur restait plus qu'à défendre leur vie54. En définitive, comme la liberté romaine s'était transformée pour eux en tyrannie, ou risquait de déboucher sur l'esclavage, il ne leur restait que la liberté bagaude ou la fuite chez les Barbares : c'est une rébellion défensive, une révolte du désespoir de toute cette partie de la population, les pauvres, qui, finissant de perdre ce qui lui restait de liberté et de propriété, ne peut que rejeter la citoyenneté qu'on lui refuse en fait.

Nombreux sont ceux qui désirent vivement se faire bagaude, ce qui leur apparaîtrait le comble de l'infortune s'ils n'étaient obligés de préférer cela à ce qu'ils subissent ou seront contraints de subir : la pire des servitudes55. Et pourtant, malgré ce désir, leur faiblesse fait qu'ils ne peuvent souvent se rebeller, se réfugier dans les zones bagaudes (ou tenues par les Barbares)56. La violence que les puissants leur font subir les contraint à vouloir la liberté (bagaude) et cette même violence le leur interdit57.

Les pauvres sont retenus sur place par la nécessité. Ils ne peuvent en effet emporter dans leur fuite leurs maigres biens, leur minable logis et leur famille58. Une remarque des plus pertinentes : la liberté bagaude, à la fois effroyable et désirable, suppose la force nécessaire à la fuite. Et la famille, l'habitatiuncula, les resculae, les attachent à la terre (ou à leur métier urbain) mieux que la loi. On comprend que ceux qui déguerpissent sont ceux qui sont libres (ou devenus libres) de ces liens : célibataires évidemment, familles qui ont tout perdu. Inversement, nous comprenons la propension à la fuite et le danger pour les maîtres des esclaves en chiourme qui n'ont pas d'attache de cet ordre, et une des raisons pour lesquelles les maîtres vont les caser : certes ils répondent à leurs désirs (ou à leur volonté), mais aussi ils les fixent. (cf la politique du patronat belge au XIXè siècle « boulot-loco-poireaux » créant des maisons avec jardin pour leurs ouvrier, prenant le train pour aller à l’usine, et ainsi empêcher la fermentation socialiste et en faisant des bons catholiques conservateurs)

Que peuvent faire ces pauvres familles écrasées par les exactions des Puissants et qui veulent s'accrocher à leur lopin ? Elles ne peuvent que se mettre sous la protection d'un Puissant, passant sous leur droit et leur souveraineté59. Mais celui-ci, explique Salvien, en profite pour les dépouiller de leurs terres. Les pauvres achètent la protection des seigneurs au prix exorbitant de tous leurs avoirs60 ! Rarement texte n'aura été aussi clair sur les "services" rendus par les Grands, sur l'abus systématique de positions de force. Ces mêmes puissants qui ruinent les pauvres, grâce au pouvoir fiscal qu'ils détiennent en fait, les en protègent ensuite... en les expropriants(cf les projets de Klaus Schwabchwab « Great reset » vous n’aurez plus rien, etc!) . Et cette protection n'est d'ailleurs même pas suffisante puisque ces hommes qui ont perdu leurs terres restent soumis à la capitation61, que le fisc continue à les traquer alors même qu'ils sont expropriés ! Souvent, lorsqu'ils abandonnent leurs terres, leur domicile, expropriés ou fuyant devant les exactores, ce n'est pas pour gagner les zones de liberté bagaude ou aller chez les Barbares. Ils ont une famille, et les pauvres doivent survivre au jour le jour. Alors ils fuient pour aller cultiver les terres des Grands, pour s'y faire colon62, esclave de la terre et, Salvien ne se leurre pas, pratiquement soumis à l'arbitraire de leur maître. Ces fugitifs qui arrivent comme des étrangers sont considérés par les riches propriétaires comme leur propriété ; hommes libres, ils deviennent des servi de fait63. Tous ces fugitifs arrivant libres sur les terres des riches sont métamorphosés en esclaves 64.

B- Les bagaudes et la forêt

On ne sait pas comment les zones ou régions libérées par les bagaudes étaient organisées. Ce ne sont pas eux, en effet, qui tinrent la plume ! On en a cependant une idée déformée à travers la représentation qu'en donnaient leurs adversaires. On possède en particulier une comédie latine anonyme, le Querolus, qui décrit une zone bagaude.

Dans le Querolus, le Plaignard (ou le Geignard), qui est le personnage principal, discute avec le lare domestique. Il lui demande de devenir puissant tout en restant un homme privé, de pouvoir dépouiller ceux qui ne lui doivent rien, frapper ceux qui ne sont pas ses gens, voler et battre ses voisins. Voici la réponse du Lare : "Le Lare : Ha ! Ha !, c'est le brigandage, ce n'est pas la puissance que tu demandes ainsi. Par ma foi, je ne sais de quelle façon l'on pourrait te faire ce plaisir. (Il réfléchit) - Voici pourtant, j'ai trouvé, tu as ton affaire. Va-t-en vivre dans les régions qui bordent la Loire.

Querolus : Et après ?

Le Lare : Là vivent des hommes qui vivent selon le droit naturel, là pas de faux-semblants, là on rend les sentences capitales auprès du chêne et on les écrit sur les os ; là ce sont des paysans qui plaident et les particuliers qui jugent ; là tout est permis… O forêts, ô solitude ! qui vous dit libres ?"65. Mais le Geignard refuse cette proposition : il n'a que faire des chênes ou de cette juridiction des bois.

Il paraît assuré que l'auteur connaissait l'existence d'une bagaude dans les régions de la Loire, d'une zone socialement libérée (et non pas politiquement autonome) où la justice est devenue populaire, "maquisarde", où les paysans prennent la parole et où "tout un chacun" peut être juge. Une justice de classe vue par une autre classe ! Les spectateurs devant comprendre les allusions de l'auteur, il est probable que le public des comédies savait la Loire zone de bagaudes. L'auteur veut faire rire, un rire alors sans doute quelque peu grinçant, de la liberté bagaude. Il décrit une société d'hommes revenus à l'état de nature, à la forêt, c'est-à-dire à la sauvagerie.

Il s'agit d'une liberté "sauvage" puisqu'elle consiste dans l'impunité de piller autrui, de battre même ceux qui ne sont pas ses esclaves ! La liberté "civilisée" ne permet que de torturer ses propres gens! C'est aussi une liberté de brigands, toujours d'hommes des bois !

Le rejet de la civilisation (au sens strict découlant de Civitas) commence par l'abandon du droit civil (de la cité) pour le recours au "jus gentium", le droit naturel qui règle les relations entre les hommes en général, non entre les citoyens. Il s'exprime identiquement par le refus de la politesse, de la civilité (au même sens), ces arts de vivre dans la cité. L'opposition est entre civitas et silva. Les bagaudes vivent selon la loi des forêts, en sauvages : d'où cette justice rendue près du chêne retrouvant son ancien rôle sacré, sans doute encore vivant dans les zones les plus indigènes. L'abandon de la civilisation est vu comme un retour à l'ancienne religiosité "sauvage". Il l'était sans doute ! Cette justice sous le chêne est rendue par des hommes privés et non des juges officiels, tandis que des paysans se substituent aux avocats. Quelle dérision ! D'ailleurs quelle justice expéditive ! Que signifient ces sentences écrites sur les os des coupables ? Peut-être simplement qu'il n'y a pas d'autre sentence que la mort ou la mutilation et pas d'autres écrits que ces "restes" : les ossements. Et d'ailleurs coupables de quoi ? Puisque tout est permis ! Simplement d'être le plus faible ? Il ne semble pas. Le texte suggère plutôt qu'entre bagaudes existait une justice rude et primitive. Le "tout est permis" serait plutôt applicable dans les relations des bagaudes avec l'extérieur. Les paysans qui plaident, cela fait rire : qui ne sait qu'ils savent à peine parler ! Mais cela fait peur aussi, surtout si n'importe qui peut être juge. Cela sonne comme un retournement de la hiérarchie sociale et pouvait signifier la mort pour les maîtres, ou l'esclavage.

N'est-ce pas d'une certaine façon cette justice populaire qui s'imposera jusqu'au VIIIème siècle avec ces assemblées d'hommes libres (mallus) qui jugent ? Elle résulterait de la fusion entre les anciennes coutumes indigènes liant la justice à la forêt et au chêne sacrés, revitalisés par le "droit révolutionnaire" bagaude, et les coutumes germaniques (Saint-Louis, bien plus tard, jugeant sous le chêne ne voulait-il pas faire référence à ces coutumes ?). Notons cependant que sur le mallum, le rôle actif est (bientôt ?) joué par les seuls notables. Dans ces bagaudes sauvages, tous les hommes s'étaient faits libres et tous rendaient la justice sous le chêne sacré.

C- Les séditions urbaines

Sur les villes nous utiliserons les remarques générales d'Oriens et l'observation précieuse du cas particulier de Bazas par Paulin de Pella.

Oriens nous donne une description générale de l'état des Gaules lors des invasions, en particulier en ce qui concerne les villes. Il décrit le pays comme un bûcher fumant, voit partout dans les campagnes, les villae, les villages et les bourgs mort, douleur, destruction, désastre, incendie, asservissement et deuil66. Mais nous intéresse surtout, ici, la description qu'il donne des relations sociales dans les villes assiégées ou attaquées. Nombreuses furent en effet les victimes de la trahison de concitoyens, de séditions civiles, des embûches et de la violence populaire67. Les villes ne résistèrent donc pas en présentant un front uni aux envahisseurs et l'explication de leur chute, à côté de la famine qu'un long siège finissait par imposer, est dans la révolte de la "plèbe" et des servi. Sans doute le manque de vivres devait attiser ces rivalités. Sans doute Oriens veut-il montrer du doigt le "parti de l'étranger" ou les "méchants" qui profitent des catastrophes publiques. Mais nous comprenons mieux pourquoi des villes fortifiées tombèrent ou furent incendiées, et pas seulement par les Barbares.

Que nous raconte Paulin de Pella ? Cet aristocrate aquitain voit sa province subir l'invasion des Visigoths. Ni lui, ni sa famille, ni ses domaines ne semblent en avoir subi de conséquences fâcheuses. Il fait partie du groupe de grands propriétaires fonciers qui entourent leur roi Athaulf, le conseillent et, grâce à cette amitié, il évite à ses terres bordelaises l'installation d'hôtes barbares. Ses malheurs viennent de ce qu'il prit le parti de l'empereur Attale, de l'échec de ce dernier. Il dut s'enfuir de Bordeaux et se réfugier à Bazas, patrie de ses ancêtres. Vers 414-416, cette ville fut assiégée par des bandes de Goths et (ou) d'Alains. Mais, nous dit Paulin : "beaucoup plus redoutable que la horde hostile répandue alentour, une troupe d'esclaves auxquels s'étaient joints, atteints d'une fureur insensée, quelques jeunes gens malfaisants, pourtant de naissance libre, dirigeait ses attaques meurtrières principalement contre les nobles"68.

Il y a là un intéressant témoignage sur une révolte servile en ville, sur l'alliance entre ces esclaves et des jeunes libres, -des "insensés" -, [des révolutionnaires?] sans doute issus de la "plèbe" urbaine, orientée contre les latifundistes (dont Paulin). La révolte paraît avoir été apaisée, grâce à Dieu qui fit mourir quelques coupables. En particulier le sicaire qui voulait la mort de Paulin lui-même fut assassiné, sans que Paulin ne s'en doute, évidemment ! Il faut ajouter que Paulin négocia avec le roi Visigoth, son ami, sa sortie de la ville, accompagné de sa nombreuse suite (une petite troupe armée) et finalement réussit à obtenir un accord entre celui-ci et les notables de la ville : sans doute Athaulf élimina-t-il les Alains et, peut-être, les groupes Visigoths qui assiégeaient Bazas ; il entra dans cette ville et porta secours aux citadins69, on aura compris qu'il ne saurait s'agir que des nobles.

Il semble clair qu'il y avait une certaine connivence d'une part entre les esclaves, les pauvres libres à l'intérieur des remparts et les assiégeants (Alains ou Goths plus ou moins dissidents ou simplement pas encore "rangés", n'ayant peut-être pas "compris" la politique d'Athaulf d'alliance avec la noblesse romaine et de sédentarisation) ; d'autre part entre les notables ou latifundistes de Bazas et le roi Athaulf et ses fidèles, entre l'ordre ancien et l'ordre nouveau.

§ 2 - L'organisation de la répression

A - La répression d'Exupérantius

Nous la connaissons par le De reditu suo de Rutilius Namatianus.

Le texte est intéressant puisque nous y découvrons (peut-être) la suite de l'histoire que nous racontait l'auteur anonyme du Querolus. Rutilius Namatianus, un grand propriétaire foncier de la Gaule méridionale (préfet de Rome en 416), retourne dans sa patrie à l'automne 417 pour remettre en ordre ses domaines et y rétablir l'ordre. Il compose, à partir de ses impressions, un poème. Nous y découvrons qu'un de ses parents, Exupérantius, préfet du prétoire en Gaule, a réprimé des mouvements de libération sociale en Armorique et ceci sans doute vers 417. Rutilius nous dit qu'Exupérantius enseigne à présent à ces contrées armoricaines à aimer le retour de la paix exilée, rétablit le droit et la liberté, et ne permet plus que les maîtres soient les esclaves de leurs esclaves71. En d'autres termes : il pacifie, il rétablit l'ordre civil (la loi et la liberté romaine) et social (il remet les rapports sociaux sur leurs pieds, les esclaves et les maîtres à « leur place »). On peut donc estimer que, dans l'Armorique (où est inclus le bassin de la Loire), l'ordre social serait en voie de rétablissement à partir de 417-418, sans doute provisoirement. Le voyage de Rutilius72 est d'ailleurs en lui-même indice d'un certain retour à l'ordre en Gaule73.

B - Galla, Aetius et ses Huns

Les dix premières années du règne de Galla Placidia (423-432), sous la minorité de Valentinien III, alors que le pouvoir est entre les mains d'Aetius74, connaissent peut-être un calme social relatif. Il redevient possible de circuler sur les grandes routes avec une certaine sécurité ; les villae et les villes, la plupart des vici, les campagnes "utiles" sont à nouveau mieux tenues en main. Sans doute les bagaudes se sont-elles simplement temporairement repliées vers les clairières des maquis et des forêts. Comme d'habitude lorsque se rétablit - même très imparfaitement - le fonctionnement des appareils d'Etat.

La seconde partie du règne de Galla Placidia (434-450) - période où Aetius est encore plus puissant - est marquée par un renouveau de la guerre sociale en Gaule. Il semblerait qu'il y ait eu des soulèvements bagaudes, des révoltes populaires massives, et qu'ils furent successivement réprimés. Il est possible que ces soulèvements soient surtout résistance au retour à l'ordre dans des zones qui s'étaient socialement libérées. La répression parait avoir été sans pitié : on n'entendra plus parler de bagaudes. La guerre est provisoirement terminée par le massacre des révoltés servi et coloni, paysans plus ou moins dépendants, par le maintien plus ferme des survivants dans leurs montagnes ou leurs forêts : si les bagaudes disparaissent, le brigandage social continue à l'état endémique. Mais cette répression, voire parfois ce massacre, accompagne une mutation des rapports sociaux, un nouveau pas en avant vers la fin de l'esclavagisme.

Pour comprendre cette période, ces combats, il faut dire quelques mots d'Aetius et de ses Huns. Qui ne connaît le premier ? Au moins "de vue" ! En effet, il est ce général romain que l'on voit entouré de ses farouches alliés, les rois barbares, et de chefs gallo-romains, faisant face aux Huns d'Attila, "le fléau de Dieu", à la bataille des Champs Catalauniques (en 451) : l'illustration quasi-constante des manuels d'histoire des classes primaires !

L'histoire d'Aetius, de l'empire â cette période, et particulièrement de la Gaule, ne peut être séparée de celle des Huns.

Les Huns, en tant que groupe tribal organisé ou peuple obéissant à des rois, puis en tant qu'Etat véritable (à partir de 425-434), n'eurent finalement que peu affaire avec l'empire d'Occident. Nous les avons quittés après qu'ils aient écrasé les Goths à la fin du IVème siècle, forçant les Visigoths à entrer dans l'Empire, les amenant ainsi à devenir, dans les Balkans, une force essentielle. Placés à l'arrière de ceux-ci, les Huns étaient devenus les alliés de l'Empire. Avec le départ des Visigoths vers l'Italie, les Huns entrèrent en conflit avec l'Empire d'Orient. Jusqu'en 451, ils pénètrent chaque année dans les Balkans, ravageant les campagnes et les villes, ramenant un énorme butin, des masses d'or, forçant l'Empire à payer tribut.

En revanche, à l'Ouest, c'est mieux que la paix, l'amitié ! Aetius, en effet, avait été élevé chez les Huns durant une partie de sa jeunesse (il y avait été emmené en otage vers 406), il était lié avec toute l'aristocratie hunnique et y avait découvert l’art nouveau de la guerre. Lorsqu'il est en disgrâce, en 432-433, il retourne chez les Huns. Il leur fait même rendre, en 439, la Pannonie occidentale75.

Surtout Aetius, général romain, est en fait un chef de bandes guerrières hunniques. Si l'Occident, jusqu'en 451 du moins, n'est que peu concerné par la nation hun, il l'est par les très nombreux contingents auxiliaires qui servent l'Empire, et directement Aetius. Il s'agit de détachements de cette cavalerie hunnique qu'admirait Aetius, encadrée par ses propres chefs, mais le commandement supérieur restant "romain" (Aetius lui-même, Litorius). Cette cavalerie, très rapide, nombreuse, résistante, était spécialisée dans l'utilisation de l'arc à l'orientale, de l'arc réflexe à flèche triangulaire. Elle savait manier aussi le fouet, le lasso, l'épée à un ou deux tranchants. C'est cette cavalerie qui permet à Aetius, après sa défaite lors de la guerre "civile" qui l'oppose à Boniface et son exil, de revenir pratiquement invincible.

Surtout, ce sont les cavaliers huns qui vont donner à Aetius l'arme de la soumission des Barbares. En 427, il bat les Visigoths. En 428, il attaque les Francs et leur reprend les terres qu'ils avaient occupées près du Rhin76. En 436 les Burgondes qui tentent de s'étendre en Belgique subissent l'assaut d'Aetius et de ses Huns ; c'est un massacre : le roi Guntarius et toute la maison royale, une fraction importante de l'aristocratie et peut-être du peuple guerrier lui-même sont anéantis, les survivants sont contraints de décamper vers la Sapaudia où Aetius les installe, peut-être pour contenir les Alamans77. A la même date (436), Aetius envoie Litorius et des contingents Huns délivrer Narbonne qu'assiégeaient les Visigoths. Cette histoire-là finira moins bien pour les Huns : Litorius entreprit le siège de Toulouse, mais l'attaque qu'il lança échoua et les Huns furent exterminés78.

Si nous parlons longuement des cavaliers Huns, c'est parce qu'ils jouèrent un rôle décisif dans l'écrasement de la bagaude de Tibatto en 437. Comme d'ailleurs les Alains, dans la répression des mouvements autonomistes armoricains et des bagaudes de l'ouest en 441-448.

C - La bagaude de Tibatto : 435-440

Selon la Chronicon imperiale (ou de 452) des Chronica Gallica, un certain Tibatto devint chef de la rébellion contre Rome et provoqua la sécession de la Gaule ultérieure, c'est-à-dire du Tractus Armoricanus, de toute la Gaule de l'ouest (y compris le centre-ouest) au nord de l'Aquitaine, jusqu'à (peut-être) y comprendre la Belgica au nord de la Seine. S'agit-il d'un mouvement autonomiste ? Il ne semble pas que telle soit la composante principale de ce mouvement.

En effet, on apprend qu'immédiatement presque toute la classe des esclaves des Gaules se ligua derrière Tibatto dans ce mouvement de révolte79. Une guerre sociale par conséquent, et pas seulement un mouvement local de quelques servi. Faut-il imaginer une révolte "sparticiste" où les esclaves détruisent "leurs" villae, se regroupent et marchent contre les armées "romaines" après avoir assassiné leurs maîtres ou les avoir contraints à la fuite ? S'agit-il d'une sortie massive hors des forêts de bagaudes préexistantes (celles des bords de Loire), occupant des zones "civilisées" en y ralliant les servi, peut-être à la faveur d'une poussée armoricaine ? Est-ce une lutte de toute une paysannerie servile et coloniaire préalablement libérée (au début du siècle) contre la répression qui s'organise ? On ne sait pas grand-chose, sinon qu'il s'agit d'une révolte des masses serviles.

En 436, Aetius est occupé au nord, contre les Burgondes en particulier. Il ne peut qu'envoyer des détachements de cavalerie hunnique (les "litoriens") commandés par Litorius. Et la répression du mouvement commence. Tibatto fut pris et tous les chefs furent tués ou faits prisonniers. La révolte bagaude fut pacifiée en 43783. L'auteur anonyme de la Chronique emploie à nouveau ce mot, bagaude, nous permettant d'avoir une forte présomption : le mouvement que dirigeait Tibatto était bien avant tout perçu comme une révolte sociale, essentiellement servile84, même si on ne peut être certain qu'elle fut "aussi grave que celle de 285" et que "la rupture fut absolue"85 avec la société romaine. On sait que Litorius et ses Huns, après cette victoire, marchèrent vers Narbonne assiégée par les Visigoths. La lutte contre les bagaudes gauloises continua sans doute, en Armorique ou ailleurs. D'abord nous savons par la même chronique qu'Aetius lui-même ne rentra en Italie qu'en 439, seulement après avoir pacifié les mouvements gaulois86.

On est pratiquement assuré, en revanche, qu'il s'agit bien d'une bagaude, même si le mot n'est pas employé. En effet, Mérobaude nous apprend qu'Aetius est allé parcourir le pays armoricain, l'inspecter même pourrait-on dire, et voilà que l'habitant du plat pays, voire des bois, est déjà beaucoup plus doux87, que les forêts ne sont plus ces repaires où s'entassait le butin accumulé par ces criminels, que les paysans sont retournés au travail des champs jadis abandonnés. On n'y combat plus César, mais la loi romaine a été rétablie dans le territoire par Aetius lui-même, et que, même si les paysans tracent leurs sillons avec des charrues gètes (barbares), ils évitent de s'allier avec leurs voisins barbares (les Visigoths aquitains)88.

Malgré l'impression de facilité que donne le panégyrique de Mérobaude (ce qui est normal étant donné le genre du texte), la répression dut être sévère, "grâce" aux Huns. On sait que les cavaliers de Litorius se comportèrent, partout où ils passèrent, en terrain conquis et avec une sauvagerie assez remarquable, même pour cette époque qui n'était pas particulièrement tendre. Les chroniqueurs ne s'intéressent guère qu'aux chefs tués ou prisonniers ; les esclaves ou paysans massacrés ne méritaient pas qu'on prenne la peine de prendre la plume pour en parler. Ce n'est qu'occasionnellement, parce qu'un seigneur est concerné, qu'ils vont nous parler de l'armée pacificatrice au travail.

Celle-ci nous est décrite par Sidoine Appolinaire. Il nous raconte que Litorius, fier d'avoir soumis les Armoricains, entraînait ses cavaliers Huns à vive allure à travers le pays arverne, passant à proximité des murs de Clermont, pour aller combattre les (Visi)goths (â Narbonne). Alors même qu'il s'agit d'auxiliaires romains ne faisant que traverser le pays, donc en paix avec les habitants, ces Huns sont décrits détruisant tout sur leur passage, par leurs razzias, par l'incendie, les massacres, par leur cruauté, leurs rapines91. En passant, l'un d'eux aurait massacré un esclave d'Avitus, le futur empereur. Celui-ci, nous explique Sidoine Appolinaire, étant donnée l'épouvante populaire, montait la garde près des tours et aux portes de Clermont92. Il va dans la plaine et fait un massacre de Huns ; il sortira vainqueur d'un combat singulier avec le lâche assassin de son serviteur93. La description est intéressante : le preux chrétien protège la "plèbe" urbaine de Clermont, ville qui se ferme terrorisée au passage des Huns, auxiliaires romains. Peut-on dire également que ce preux venge son esclave victime de la cruauté des Huns ? Pas exactement : il ne peut tolérer que quiconque tue ses hommes ou détruise ses biens, ni ses châteaux, ni son cheptel ni ses esclaves !

L'historien Lucien Musset écrit : "Les Huns ont été pendant plus longtemps les amis et les auxiliaires de Rome, ou de certains Romains, que les "fléaux de Dieu", pour reprendre une épithète trop fameuse"94. N'est-ce pas au contraire parce qu'ils furent au service de Rome, ou de certains Romains, qu'ils furent les "fléaux de Dieu" ? Cette expression, si usée, est intéressante car elle nous aide à comprendre que les Huns étaient appelés par Dieu pour châtier le peuple coupable. Ainsi, Grégoire de Tours raconte que les prières de l'évêque Aravatius ne purent empêcher l'invasion des Huns (d'Attila) car Dieu l'avait fermement programmée et que d'ailleurs lui-même le pressentait : "l'Esprit lui faisant sentir que cette chose (le maintien des Huns hors de Gaule) ne lui serait pas concédée â cause des péchés du peuple"95. Il raconte aussi qu'un fidèle avait eu une vision d'une conférence entre le bienheureux Etienne et les apôtres Pierre et Paul, le premier demandant aux seconds d'épargner la ville de Metz, mais il ajoute "si toutefois la culpabilité du peuple (?) s'est tellement accrue qu'il soit impossible de ne pas livrer la cité aux flammes, que du moins cet oratoire (où sont ses reliques) ne soit pas brûlé". Seul son second vœu sera accordé, car, comme les saints l'expliquent, “le péché du peuple a grossi et le bruit de sa malice est monté jusqu'à Dieu : c'est pourquoi cette cité sera incendiée"96.

Quelle est donc cette "malice" du peuple, non plus seulement dans telle ville (Metz), mais pour l'ensemble des Gaules ? Pourrait-ce être le paganisme ou l'hérésie ? Non, car outre le cas de Metz, ville romaine et catholique, il est clair que les saints évêques intercèdent pour leurs fidèles. S'il s'agissait d'éradiquer hérésies et paganisme, le fer et le feu seraient bienvenus ! Ce peut être, évidemment, la luxure, voire la gourmandise, l'orgueil, la paresse ou l'envie... En fait à l'époque, la "malice" du peuple, en particulier celui des campagnes est aussi, sans doute surtout, le refus de l'ordre établi, des hiérarchies sociales et d'abord des deux grandes coupures : maîtres et esclaves ; grands propriétaires fonciers, clarissimes, nobles et "plèbe" urbaine ou "vilains, servi et coloni. Il faut savoir qu'alors l'inégalité entre les hommes est considérée comme la sanction de leurs péchés différentiels97, "que l'inégalité est providentielle, par conséquent nécessaire"98. L'humanité sans péché serait égalitaire, c'est la chanson d'Adam et Eve ! Toute remise en question de cet ordre social est remise en cause de l'ordre divin. N'allons pas chercher à Metz des séditions ou des pensées séditieuses anticipant la destruction de la ville, on n'en parle que pour l'exemple ! N'allons pas imaginer qu'alors seuls les Huns ont le privilège d'exercer le châtiment du ciel ; n'importe quel malheur peut faire l'affaire ? Mais des Huns semblent avoir eu effectivement comme tâche d'écraser les bagaudes ; dès lors, venant massacrer le "prolétariat" rural soulevé ou libéré, ils apparaissent clairement pour ce qu'ils furent : les auxiliaires et les bourreaux au service de l'aristocratie gallo-romaine, d'Aetius et aussi de la hiérarchie ecclésiastique issue presqu'intégralement de cette classe.

Simplement, il ne s'agit pas des Huns d'Attila, mais des Huns d'Aetius et Litorius. Nous avons vu, à propos de l'écrasement des Burgondes en 436, que la légende épique des Nibelungen avait confondu ces deux groupes. Sans doute, de même, la légende d'Attila attira à elle les récits des répressions commises par les cavaliers du patrice. On ne prête qu'aux riches ! La répression de 436-437, sévère, atroce même si l'on retient l'écho qu'en donne Sidoine Appolinaire, fit des Huns, au sens strict, le fléau de Dieu, le moyen du châtiment de ceux qui violaient la loi divine en provoquant le désordre social, le moyen de séparer le (bon) grain de l'épi.

D- Les crises de 441 à 448

Dans les pays de Loire, la répression anti-bagaude continue sans doute après 439. Peut-être parce que les Huns de Litorius furent massacrés par les Visigoths sous Toulouse ou parce que ceux directement commandés par Aetius en Belgique restaient nécessaires dans la région pour bloquer les Francs ou les Alamans, le patrice dût utiliser les auxiliaires Alains que commandaient le roi Goar en Gaule centrale, puis dans le Tractus armoricanus.

Dès 441, Aetius installe ces auxiliaires alains sur la Loire moyenne au nord d'Orléans, et peut-être ailleurs en Gaule ultérieure. Il s'agit d'une part de maintenir l'expansion des Visigoths vers le nord, d'autre part de surveiller l'Armorique pour contrer le mouvement autonomiste et pour contrôler les zones bagaudes. Le type d'installation, comme d'habitude, était l'hospitalité, les Alains devant s'installer dans les villae selon le principe du logement des troupes, et donc devant bénéficier d'une fraction des terres et des esclaves (ils pouvaient installer leurs propres esclaves également : ce ne sont pas les guerriers alains qui cultivent !)99.

Les Alains, semble-t-il, ne respectèrent pas la convention (le foedus) et, éliminant par les armes toute résistance, ils expulsèrent les maîtres et s'attribuèrent la totalité des terres100. Cette action ne semble pas avoir gêné Aetius, puisqu'il va continuer à utiliser ces guerriers. On peut penser que les propriétaires expulsés ne devaient pas être en excellents termes avec le pouvoir central, c'est-à-dire avec le patrice Aetius. Peut-être la région avait-elle été (était-elle ?) un des centres de la rébellion sécessionniste armoricaine (au sens large) de la Gaule ultérieure ? Toujours est-il que - sans doute grâce à leur présence - la paix semble avoir été assurée en Armorique jusqu'en janvier 446 au moins101.

Vers 446-447 cependant, l’Armorique à nouveau se révolte. On ne sait - a priori - s'il s'agit de la reprise du mouvement sécessionniste ou d'une nouvelle poussée bagaude. On a quelque lumière (bien pâle à dire vrai !) grâce à la Vie de Saint Germain de Constance de Lyon102. Germain avait été gouverneur d'une province gauloise dans sa jeunesse (il est d'une bonne famille "romaine"). En 429 il va en Bretagne lutter contre le pélagianisme et paraît diriger les opérations des Bretons contre les incursions des Saxons, des Pictes et des Scottes. Il les aurait conduits à la victoire de "l'Alleluia" (Pâques 429). Il y retourne en 440-444, alors que s'y opposent un parti pélagien, donc hostile aux évêques et mené par le Celte Vortigern, et l'aristocratie catholique et "romaine", le "camp" de Germain par conséquent, qui fait des appels (sans succès) à Aetius103. Ces épisodes nous permettent de comprendre qui est Germain et pour qui il combat.

En 446, Germain est en Armorique. Il ne peut qu'être appelé par les aristocrates et citadins "romains" dissidents ; sans doute ceux-ci ont-ils besoin d'un homme bien introduit auprès d'Aetius et de la Cour de Ravenne. En effet Aetius avait envoyé les bandes guerrières de Goar, probablement pour mater la rébellion sécessionniste armoricaine (il se pourrait aussi que Goar et ses Alains aient été envoyés par Aetius pour écraser une rébellion bagaude et que ceux-là, du même mouvement, risquaient de s'en prendre aux villes, d'où l'intervention de Germain ; mais c'est peu probable)104. La Vita nous décrit le saint, un vieillard, arrêtant seul les Alains en marche, en prenant par la bride le cheval de Goar, puis entamant avec eux une négociation, se portant garant de la grâce qu'accorderont Aetius et l'empereur (en fait l'impératrice Galla Placidia). La paix, conditionnelle, est signée et les Alains retournent vers leurs cantonnements de la Loire moyenne. Il reste à Germain à gagner l'Italie pour transmettre sa demande de grâce pour les aristocrates et les cités sécessionnistes et sans doute garantir leur soumission105. Fin du premier épisode !

En 448, la révolte reprend en Armorique. La Vita nous explique que la perfidie de Tibatto ( ?) avait ramené ce peuple instable et indiscipliné à sa révolte passée. Dès lors, la médiation de l'évêque n'avait plus de sens, l'empereur avait été trompé et les perfides audacieux furent rapidement châtiés106. Le fait que Constance de Lyon parle de Tibatto, le chef de la bagaude gauloise de 435-437 (exécuté après sa défaite), de l'indiscipline et de l'instabilité du peuple, la forte probabilité d'une rude répression menée par les Alains de Goar font penser que le sens du combat avait sans doute changé et que la guerre sociale était devenue première, éclipsant la guerre sécessionniste.

En 448, en effet, une bagaude semble avoir été durement réprimée dans ces mêmes régions de la Gaule ultérieure. Un médecin nommé Eudoxius aurait été un des animateurs de la résistance ou de la révolte. Cet individu au mauvais esprit, mais agile (voire excité), après avoir été un des dirigeants du mouvement bagaude, chercha refuge chez les Huns d'Attila107. Des régions entières de la Gaule du Centre et de l'Ouest auraient été concernées par cette nouvelle guerre sociale. La lutte aurait été rude ; le siège de Tours, où le futur empereur Majorien se serait illustré comme lieutenant d'Aetius, pourrait dater de cette époque et être le fait des bagaudes108. La répression dut être sévère, voire "définitive" (“grâce" aux Alains ?) puisqu'après 450, on n'entend plus parler d'actions bagaudes en Armorique ou en Gaule ultérieure (ni, du moins pendant longtemps, de troubles sociaux).

"Complexe et curieux épisode ! Complexe puisque la bagaude de 448 est très difficile à distinguer du mouvement sécessionniste armoricain. On retrouve le problème que nous posions pour la révolte de Tibatto : est-on en présence de l'un ou de l'autre de ces deux mouvements, de l'un et de l'autre ? Nous savons qu'une sécession peut encourager une révolte sociale, ajoutons qu'une révolte sociale peut rendre "nécessaire" une prise en main de la répression par l'aristocratie locale, puis encourager une sécession de cette aristocratie (elle a pris goût à l'indépendance !) ou qu'une violente répression dirigée contre un mouvement sécessionniste devait contraindre les servi, les coloni, les paysans à s'enfuir dans les maquis à l'approche des bandes de guerriers alains (n'étaient-ils pas les premiers à souffrir de la terreur que les Alains imposaient sur leur passage ?) et d'autant que les bagaudes restaient vivaces, dans les forêts tout au moins.

Curieux épisode aussi, avec ce refuge que cherche le chef bagaude Eudoxe chez Attila. En 449-451, Eudoxe aurait pu informer le roi Hun de la faiblesse de l'Empire d'Occident, de ce qui lui reste de richesses aisées à piller, l'assurer d'un soutien bagaude, le convaincre finalement de marcher, pour la première fois, vers l'Ouest ? On pourrait même imaginer un retournement d'alliance : les Huns d'Attila ne marchent-ils pas sur Orléans et sur la région des Alains, les ennemis des bagaudes de l'ouest ?109

E - Bagaudes en Tarraconnaise

On connaît l'existence de bagaudes en Espagne grâce à Salvien et surtout à Idace. Ce dernier est un évêque galicien qui fut mêlé aux affaires politiques de la période. Après la constitution par les Suèves d'un Etat autour de Braga et de Lugo, l'aristocratie hispanoromaine l'avait délégué vers Aetius pour tenter d'obtenir son intervention, lequel la refusa d'ailleurs, mais il est vrai qu'il était alors occupé en Gaule110.

D'après Idace, il y aurait eu, entre 441 et 454, un important mouvement bagaude dans la province de Tarraconnaise, au nord de l'Espagne, principalement dans la région à l'ouest de Saragosse (Caesaraugusta). Peut-être à la suite de la rébellion en Gaule ultérieure en 435-437, le mouvement bagaude s'étend-il dans le nord de l'Espagne ? On sait qu'en 441, il faut envoyer contre eux une expédition militaire commandée par Astère (Flavius Asterius ou Asturius), chef de la milice, comte d'Espagne qui réprime les masses bagaudes soulevées111. Pas plus qu'en Gaule dans les années 437, l'expédition d'Astère n'est décisive. En effet en 443, le gendre et successeur d'Astère, Mérobaude, doit écraser les bagaudes. Idace semble préciser qu'ils se seraient retranchés au village d'Araciel (près de Tudela en Navarre)112.

Rome va réagir de la manière habituelle. Elle fait la paix avec les Suèves (en 442) et surtout va signer un foedus nouveau avec les Visigoths115 qui les charge particulièrement de traquer les bagaudes espagnoles. Face à ces guerriers goths, les bagaudes isolées par la défection des Suèves sont trop faibles. En 454, Frédéric, le frère du nouveau roi Visigoth Théodoric II peut massacrer les bagaudes de Tarraconaise et écraser "définitivement" la rébellion116. Ajoutons seulement qu'en 456, lors de l'assassinat de Rechiarus, Idace note encore les ravages de brigands en Galice117. Il y aura ultérieurement résistance "nationaliste" des Astures et des Vascons contre les conquérants Visigoths, mais plus de guerre bagaude.

Notons que, sans doute pour cette même période entre 440 et 454, Salvien affirme qu'une grande partie des Espagnols se sont réfugiés chez les bagaudes118.

conclusion

Les bagaudes paraissent écrasées. La répression les a sans doute simplement rejetées vers les profondeurs de la Gaule sauvage. De ses forêts, pendant des siècles, sortent des bandes de brigands qui viennent rôder autour des villae ou des villages, rançonner les voyageurs, piller les greniers. L'aristocratie, parfois, organise des parties de chasse à l'homme, comme elle va chasser l'ours, contre ces brigands. Mais il n'y a plus, pendant longtemps semble-t-il, de soulèvements de masse : l'ordre social est rétabli malgré quelques nécessaires bavures. Mais cet ordre nouveau, avec ses institutions de centralisation de la répression relativement faibles, suppose une nouvelle régression de l'esclavagisme. Le IVème siècle avait tenté de reconstruire l'Etat et la villa esclavagiste. Il n'y avait que très partiellement réussi, ne pouvant revenir à la situation qui prévalait avant la crise du IIIème siècle. Le Vème siècle est d'abord l'effondrement de cette tentative, et une nouvelle fin de l'esclavagisme. Non que les esclaves soient moins nombreux, puisque ces temps troublés sont propices à cette production particulière, mais les esclaves sont le plus souvent casés. Casement de leur fait, pendant les moments où ils s'étaient libérés, et sur lesquels il n'était pas possible de revenir. Casement de fait, et du fait de maîtres prudents. Lopins "donnés" à des fugitivi venus se réfugier chez un autre maître et qui fermait les yeux sur leur origine. D'autres causes aussi jouèrent. Nous n'en parlons pas simplement parce qu'elles sont toujours mises en avant : charité chrétienne, affranchissement lors d'un testament..., efficacité économique ou surtout démographique du nouveau système.

Ce qui nous importe ici est seulement ae remarquer qu'en définitive les luttes sociales ont effectivement modifié les formes de l'exploitation. Certes elles ne le firent pas comme certains aimeraient l'imaginer, les esclaves volant de victoires en victoires, éliminant une classe sociale d'exploiteurs ! Les bagaudes furent au contraire sévèrement réprimées, voire massacrées. Mais elles n'avaient pas moins provoqué l'"ultime" crise de l'ancienne façon d'exploiter les hommes, démontré l'impossibilité de l'esclavagisme dès lors que l'Etat central s'effondre120. Certes, en imposant le casement, donc - pour simplifier - à la longue le servage, elles ont aussi affaibli le prolétariat rural, le sérialisant, l'attachant à la terre, à sa maison, à sa famille, imposant donc encore le servage dans la mesure où il suppose un rapport de force favorable au seigneur dans ses relations avec des paysans relativement isolés.

Les bagaudes, une des dernières luttes des esclaves, sont aussi une des premières luttes des coloni, de paysans asservis. Redisons-le, se rencontrent ici ceux qui changent, à leur avantage, les formes de leur exploitation, les esclaves, et ceux qui voient leur condition se détériorer, qui sombrent dans l'esclavage de la terre après avoir été petits propriétaires ou fermiers relativement indépendants. Luttes d'un temps qui finit (mais qui n'en finit pas de finir d'ailleurs) et d'un temps qui commence. Les bagaudes, plus qu'une alliance entre les classes des esclaves et des paysans ou colons, sont la preuve d'une accélération du processus d'homogénéisation de l'ensemble du prolétariat rural, et un moment de cette homogénéisation. L'écrasement ou le reflux de ce mouvement est l'acte fondateur du nouvel ordre social. Mais lui aussi ne se construisit pas en un jour ! Je croirais volontiers que durablement, jusqu'à la montée des carolingiens, les populations rurales bénéficient d'un certain relâchement des contraintes, même pour les servi, même dans les collonges.

Les bagaudes massacrées et malgré tout victorieuses ! Il semble que les paysans gardèrent longtemps le souvenir des temps de la libération sociale. Des légendes populaires se formèrent et les maîtres ou leurs scribes les déformèrent parfois en rétablissant une certaine "vérité" historique. Il faudrait pouvoir suivre la piste. En voici un ou deux signes.



14/02/2025

merle dans la nuit audition la plus belle mais aussi la plus émouvante qui soit, - et tout un symbole métaphysique - Pascal ! Simone de Beauvoir ? ou Jean Rostand ?

Pensez un peu au chant des merles (males). Surtout le matin à 5 heure du matin voire encore avant ça dépend de la saison, en tous cas encore en pleine nuit avant que le soleil se lève, imaginez ! en février à 7 heures du matin dans le froid et le noir, tout le monde dort, eux ils sont là ils chantent, et y mettent tout leur coeur, toute leur créativité, je répète leur CREATIVITE, et voilà un problème éthologique et métaphysique de première grandeur.
Et d'abord quel symbole ! plus grand que toute la civilisation humaine, car la créativité des chants de merles

 (ils ne sont pas du tout stéréotypés, mais sont de vraies créations artistiques, aux phrases toutes différentes et toujours renouvelées, et visiblement objet de recherche volontaire.

(pensez : que de beautés perdues ! pensez à tous les chants de merles par le monde que les gens n'écoutent pas !)


Quel symbole poignant ces êtres qui se décarcassent durant des heures à chanter et à inventer de nouveaux motifs, dans le froid et le noir, petit être de 100grmmes dans l'infini de la terre et du "silence éternel de ces espaces infinis" l'absurde "aventure falôte du protoplasma" (Jean Rostand http://palimpsestes.fr/metaphysique/livreI/rostand3.html ) !
Y pensez-vous quand vus l'entendez ?
Non vous ne l'entendez pas justement !
Personne ne les entend à cette heure. Sauf les autres merles. Symbole paradigmatique de la solitude dérisoire de l'être, même avec son ambigüe "liberté" sartrienne, dans la nuit noire de son destin de condamné à mort et à l'oubli éternel, et dans un univers indifférent...
Pauvre merle ! il chante, il y met tout son cœur, il croît que c’est très important, peut-être même qu’il est tout content, il ne sait pas que ça n’a aucune importance, que ça n’aura même pas eu lieu, tout son chant, sa création, son inventivité, son énergie mise à chanter comme ça tous les soirs (et matins) ; Le pauvre, il croit qu’il est venu au monde, il ne sait pas qu’il n’est jamais venu au monde, qu’il ne sera jamais venu au monde, ni lui ni le monde.
(les humains non plus d'ailleurs)

l' aventure falôte du protoplasma n'est rien d'autre qu' un mauvais pélérinage de la chair ?

22/09/2024

"je n'apporte pas les réponses, j'apporte les outils de réflexion" (J-P Petit)

sur le problème de la place de la conscience dans le cosmos

Sur le problème des rapports de la conscience, des êtres conscients, et en particuliers les humains – mais, justement, il n’y a pas qu’eux! et l’apparition, apparemment inévitable et programmée, d’un ordre des choses si incommensurablement différent des autres « réalités » au bout ( ?) de l’évolution de cet étrange, (et apparemment inscrit dans la nature des choses), phénomène, nommé « la vie » est un phénomène curieux – du statut (et du destin) des consciences dans le cosmos, et de la pertinence des valeurs, des modes d’exigence que celles-ci proposent dans leur compréhension du réel, on est depuis déjà un bon bout de temps arrivé à considérer que celle-ci n’est qu’un « épiphénomène » produit par un pur hasard, non-significatif par le reste, et que le subjectivisme des êtres conscients est à rejeter d’une pensée rigoureuse, et qu’ils sont à complètement invalider.

Oui…

Oui MAIS. Quand même, la conscience existe, dans le Réel. C’est là ! Elle est même la seule chose dont on puisse être sûr de l’existence ! Et n’oublions pas que la matière et tout le reste, et le monde lui-même, ne sont que des hypothèses !

De plus on constate que le Cosmos apparaît comme qq chose de très lié et très cohérent. Où ce qui y existe n’y est pas « par hasard » mais fait partie d’un système très interconnecté (même si la « théorie de tout » dont rêvent certains physiciens n’est pas encore atteignable). Or l’existence d’une ??? comment appeler ça ? une « substance » ?! un « phénomène » ?! un « concept » ?! (aucun terme ne convient !) aussi fondamentalement différente du reste (incommensurablement, regardez ! il est même impossible d’employer pour elle le vocabulaire mis au point pour les « choses » !), et quand même fondamentalement importante (ne fusse que c’est elle qui – accessoirement ! -  perçoit et pense tout le restemais oui ! mais c'est bien sûr ! icon_lol, ne peut pas être considéré comme un détail contingent de la cosmogénèse à l’instar de, par exemple, les mantes religieuses, ou les Malachius bipustulatus.

Alors on en revient à se dire qu’il faut quand même trouver une place pour la conscience icon_eek(et qui peut affirmer que ce ne doit pas être en fait la première ?) dans l’économie du Cosmos, et donc dans la nature du Cosmos.
On tourne en rond, car de ce point de vue il n’y a rien de probant. (Et refuser purement l’entrée de la conscience, comme problème intéressant pour …. la conscience du savant ! est surtout une façon de se débarrasser de l’aporie, de faire comme si le problème n’existait pas)

Certaines intuitions d’il y a 2500 ans sont reprises par la science moderne (non seulement les atomes de matière des grecs, et, peut-être les cycles d’expansion et de destruction de l’univers, mais aussi les atomes de temps et d’espace des Jaïnistes !) quelles autres encore se révèleront être de bonnes pistes ?

Certains même là en viennent à la conclusion que « mind is a fundamental process in its own right, as widespread and deeply embedded in nature as light or elctricity ».
Ce qui semble, quand on regarde le monde, qu’on prend le temps de faire une pause, et  réfléchit, finalement le bon sens même !

« Dans la nature, les portes sont toujours cachées, déguisées en autre chose. On ne les trouve – c’est une règle – que là où depuis des lustres on nous jurait qu’il n’y avait rien. » (Aimé Michel)

Et la parapsychologie ?

En tous cas, représentons-nous ce drôle de truc, l’univers, tel qu’on le connaît jusqu’à présent, c’est quand même une drôle d’histoire ! quel drôle de machin !

on ne peut pas prendre cette étrangeté à la légère, « ça cache queuqu’chose ! »

et là il faut rappeler la grande figure d'Aimé Michel (grand penseur insondable, qu'on n'a pas finit de redécouvrir)

je ne parlerait pas de tous ses aspects ici un texte capital :

et une remarque

"j'aimerais avoir le temps de me livrer ici à un parallèle cruel. Il s'agirait de
prendre telle revue de référence de l'intelligentsia de l'époque, Tel Quel par
exemple, et de dresser, tout simplement, la liste des problèmes qui y furent
traités, disons, entre 1958 et 1968 ; puis de se livrer à la même opération, et
pour la même période, avec Planète. On découvrirait que la plupart des
problèmes soulevés par Tel quel sont désormais des problèmes morts, et que
souvent les questions agitées alors par Planète sont celles qui, aujourd'hui,
travaillent le monde contemporain.

ah ! quand-même je voudrais faire découvrir une face d'Aimé Michel où il a particulièrement raison 

il paraît qu’Aimé Michel Comme ses précurseurs Pierre Massuet et d’autres avait conscience du caractère inadmissible, aussi inadmisible qu’Auschwitz, de la souffrance animale et

"telle préface( refusée par les Editions du Cerf) où il s'en prend à la théologie catholique, avant garde teilhardienne comprise, coupable à ses yeux d' avoir fait l'impasse sur le problême de la souffrance animale...(8) Préface inédite à l'Animal, l'homme et Dieu, un beau livre de Michel Damien, paru aux éditions du Cerf.(1978)
et :
tel texte, par exemple, où il décrit un train de poulets en batterie promis à l'abattoir, qu'il observa par une nuit de gel intense, en gare de Dijon (7 texte inédit hélas communication personnelle de son ami) (en quelle année ? J’y ai vécu, n’est-ce pas - à Dijon, lors d’une certaine époque … et j’y ai passé plus d’une fois par cette gare, avec maman.)

24/08/2024

le plus beau poème d'Eric Tellenne

Enfant quand tu liras ces pages

Je serai mort depuis longtemps

J’étais celui que tu attends

Je n’aurai pas vu ton visage.

 

 

Eric Tellenne

(la Clé des Chants page 223)

15/07/2024

les chansons qu'on n'oublie pas ce sont celles qui disent la vérité

si la vidéo refuse encore de marcher il faudra 1° téléchager et installer le navigateur Opéra http://www.clubic.com/telecharger-fiche18773-opera.html  2° y ajouter le module https://addons.opera.com/fr/extensions/details/download-y... accéder à cette vidéo par ce navigateur, ou sur http://www.youtube.com/watch?v=KVvDNasH4No      ,  alors vous disposerez d'un bouton descargar (en espagnol) sans doute "télécharger" en français, etc par leqel vous pouvez soit visionner la vidéo, soit l'enregistrer sur votre ordinateur, ce qui llà, vous rend enfin libre de la regardez quand et comme vous voulez.

 

écoutez la chanson

au moins une fois avant de mourir, pour toujours

22/06/2024

Oscar de Lubicz Milosz

Les Sept Solitudes, 1906


 
Aimez-vous l’odeur vieille des bruines de printemps ?
C’est le mois où sent bon la poussière des très vieux livres.
Un peu d’ennui d’ombre et de vent sous les grands saules frais
Et puis dormir, oublier ce qui fut, ce qui sera...
 
L’eau tinte, le lointain pleure et rit, les fleurs sont si faibles.
La jument blonde gaiement dévore un tout petit arbre
Et don Juan cherche la bouteille dans son bissac,
Don Juan, le maigre cavalier aux éperons d’or.
 
Une mouche drôle sur un brin d’herbe se balance.
Toutes les maîtresses extravagantes sont si mortes,
En nombre plus que suffisant se pendent les amis,
Et les naïfs alexandrins ne chantent plus dans l’âme.
 
Et l’on a fait bien bravement le pas qui séparait
Le sublime joli du tendre et triste ridicule.
Tout s’est envolé, décidément tout ! Ô toi fidèle
Bouteille, pourquoi donc n’as-tu plus ton goût de jadis ?
 
— Et voici — malgré la solitude du paysage
(Car les hirondelles ne sont pas encor revenues)
Juan Tenorio cache son visage dans ses mains.
— C’est le mois où sent bon la poussière des très vieux livres.

13/05/2024

Jules Laforgue le plus subtil poète français, mon poète préféré

Air de biniou

 

Non, non, ma pauvre cornemuse,
Ta complainte est pas si oiseuse ;
Et Tout est bien une méprise,
Et l’on peut la trouver mauvaise ;

Et la Nature est une épouse
Qui nous carambole d’extases,
Et puis, nous occit, peu courtoise,
Dès qu’on se permet une pause.

Eh bien ! qu’elle en prenne à son aise,
Et que tout fonctionne à sa guise !
Nous, nous entretiendrons les Muses.
Les neuf immortelles Glaneuses !

(Oh ! pourrions-nous pas, par nos phrases,
Si bien lui retourner les choses,
Que cette marâtre jalouse
N’ait plus sur nos rentes de prise?)



Jules Laforgue

 

éternelle prière à la Sully-Prudhomme !  .... éternel espoir des désespérés

22/03/2024

Rolla

Si vous n'avez pas encore lu "Rolla" poème capital de Musset et du XIXè siècle ?

Lisez-le ! les problèmes vitaux et fondamentaux c'est bien plus important que toute l'écume des jours dons les "médias" nous gavent

 

Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre

Marchait et respirait dans un peuple de dieux;

Où Vénus Astarté, fille de l'onde amère,

Secouait, vierge encor, les larmes de sa mère,

Et fécondait le monde en tordant ses cheveux?

Regrettez-vous le temps où les Nymphes lascives

Ondoyaient au soleil parmi les fleurs des eaux,

Et d'un éclat de rire agaçaient sur les rives

Les Faunes indolents couchés dans les roseaux?

Où les sources tremblaient des baisers de Narcisse?

Où, du nord au midi, sur la création

Hercule promenait l'éternelle justice,

Sous son manteau sanglant, taillé dans un lion;

Où les Sylvains moqueurs, dans l'écorce des chênes,

Avec les rameaux verts se balançaient au vent,

Et sifflaient dans l'écho la chanson du passant;

Où tout était divin, jusqu'aux douleurs humaines;

Où le monde adorait ce qu'il tue aujourd'hui;

Où quatre mille dieux n'avaient pas un athée;

Où tout était heureux, excepté Prométhée,

Frère aîné de Satan, qui tomba comme lui ?
Et quand tout fut changé, le ciel, la terre et l'homme,

Quand le berceau du monde en devint le cercueil,
Quand l'ouragan du Nord sur les débris de Rome
De sa sombre avalanche étendit le linceul, —

Regrettez-vous le temps où d'un siècle barbare

Naquit un siècle d'or, plus fertile et plus beau?

Où le vieil univers fendit avec Lazare

De son front rajeuni la pierre du tombeau?

Regrettez-vous le temps où nos vieilles romances

Ouvraient leurs ailes d'or vers leur monde enchanté?

Où tous nos monuments et toutes nos croyances

Portaient le manteau blanc de leur virginité?

Où, sous la main du Christ, tout venait de renaître ?

Où le palais du prince, et la maison du prêtre,

Portant la même croix sur leur front radieux,

Sortaient de la montagne en regardant les cieux?

Où Cologne et Strasbourg, Notre-Dame et Saint-Pierre,

S'agenouillant au loin dans leurs robes de pierre,

Sur l'orgue universel des peuples prosternés

Entonnaient l'hosanna des siècles nouveau-nés ?

Le temps où se faisait tout ce qu'a dit l'histoire;

Où sur les saints autels les crucifix d'ivoire

Ouvraient des bras sans tache et blancs comme le lait,

Où la Vie était jeune, — où la Mort espérait ?

O Christ! je ne suis pas de ceux que la prière
Dans tes temples muets amène à pas tremblants;
Je ne suis pas de ceux qui vont à ton Calvaire,
En se frappant le cœur, baiser tes pieds sanglants;
Et je reste debout sous tes sacrés portiques,
Quand ton peuple fidèle, autour des noirs arceaux,
Se courbe en murmurant sous le vent des cantiques,
Comme au souffle du nord un peuple de roseaux.
Je ne crois pas, ô Christ ! à ta parole sainte :
Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux.
D'un siècle sans espoir naît un siècle sans crainte;

Les comètes du nôtre ont dépeuplé les deux.

Maintenant le hasard promène au sein des ombres

De leurs illusions les mondes réveillés;

L'esprit des temps passés, errant sur leurs décombres,

Jette au gouffre éternel tes anges mutilés.

Les clous du Golgotha te soutiennent à peine;

Sous ton divin tombeau le sol s'est dérobé :

Ta gloire est morte, ô Christ et sur nos croix d'ébène

Ton cadavre céleste en poussière est tombé 1

Eh bien! qu'il soit permis d'en baiser la poussière
Au moins crédule enfant de ce siècle sans foi,
Et de pleurer, ô Christ! sur cette froide terre
Qui vivait de ta mort, et qui mourra sans toil
Oh! maintenant, mon Dieu, qui lui rendra la vie?
Du plus pur de ton sang tu l'avais rajeunie;
Jésus, ce que tu fis, qui jamais le fera?
Nous, vieillards nés d'hier, qui nous rajeunira?

Nous sommes aussi vieux qu'au jour de ta naissance.

Nous attendons autant, nous avons plus perdu.

Plus livide et plus froid, dans son cercueil immense

Pour la seconde fois Lazare est étendu.

Où donc est le Sauveur pour entr'ouvrir nos tombes ?

Où donc le vieux saint Paul haranguant les Romains,

Suspendant tout un peuple à ses haillons divins ?

Où donc est le Cénacle ? où donc les Catacombes ?

Avec qui marche donc l'auréole de feu?

Sur quels pieds tombez-vous, parfums de Madeleine *?

Où donc vibre dans l'air une voix plus qu'humaine?

Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu?

La Terre est aussi vieille, aussi dégénérée,

Elle branle une tête aussi désespérée

Que lorsque Jean parut sur le sable des mers,

Et que la moribonde, à sa parole sainte,

Tressaillant tout à coup comme une femme enceinte,

Sentit bondir en elle un nouvel univers.
Les jours sont revenus de Claude et de Tibère;
Tout ici, comme alors, est mort avec le temps,
Et Saturne est au bout du sang de ses enfants;
Mais Pespérance humaine est lasse d'être mère,
Et le sein tout meurtri d'avoir tant allaité,
Elle fait son repos de sa stérilité.

En sorte que Rolla, par un beau soir d'automne,

Se vit à dix-neuf ans maître de sa personne, — [bref en cette époque d’héritages ! Et de patriarcalisme, ça veut dire : quand ses parents furent crevés et que le fils eut l’ARGENT ! Et le droit d’agir sans l’autorisation de son paternel!]

Et n'ayant dans la main ni talent ni métier.[comme tout bon aristo qui se respecte!]
Il eût trouvé d'ailleurs tout travail impossible;
Un gagne-pain quelconque, un métier de valet,
Soulevait sur sa lèvre un rire inextinguible.
Ainsi, mordant à même au peu qu'il possédait,
Il resta grand seigneur tel que Dieu l'avait fait.

Hercule, fatigué de sa tâche éternelle,
S'assit un jour, dit-on, entre un double chemin.
Il vit la Volupté [traduisez : les putes] qui lui tendait la main :
Il suivit la Vertu, qui lui sembla plus belle.
Aujourd'hui rien n'est beau, ni le mal ni le bien.
Ce n'est pas notre temps qui s'arrête et qui doute;
Les siècles, en passant, ont fait leur grande route
Entre les deux sentiers, dont il ne reste rien.

Rolla fit à vingt ans ce qu'avaient fait ses pères.

Ce qu'on voit aux abords d'une grande cité,

Ce sont des abattoirs, des murs, des cimetières;

C'est ainsi qu'en entrant dans la société

On trouve ses égouts. — La virginité sainte

S'y cache à tous les yeux sous une triple enceinte;

On voile la pudeur, mais la corruption

Y baise en plein soleil la prostitution.

Les hommes dans leur sein n'accueillent leur semblable

Que lorsqu'il a trempé dans le fleuve fangeux

L'acier chaste et brûlant du glaive redoutable

Qu'il a reçu du ciel pour se défendre d'eux.

Jacque était grand, loyal, intrépide et superbe.
L'habitude, qui fait de la vie un proverbe,
Lui donnait la nausée. — Heureux ou malheureux,
Il ne fit rien comme elle, et garda pour ses dieux
L'audace et la fierté, qui sont ses sœurs aînées.

[bref le nihilisme lui fit perdre toute notion de morale, mais pas son « sens des convenances » et ses préjugés sociaux!]

Il prit trois bourses d'or, et, durant trois années,
Il vécut au soleil sans se douter des lois;
Et jamais fils d'Adam, sous la sainte lumière,
N'a, de l'est au couchant, promené sur la terre
Un plus large mépris des peuples et des rois.

Seul il marchait tout nu dans cette mascarade
Qu'on appelle la vie, en y parlant tout haut.
Tel que la robe d'or du jeune Alcibiade,
Son orgueil indolent, du palais au ruisseau,
Traînait derrière lui comme un royal manteau.

Ce n'était pour personne un objet de mystère

Qu'il eût trois ans à vivre et qu'il mangeât son bien.

Le monde souriait en le regardant faire,

Et lui, qui le faisait, disait à l'ordinaire

Qu'il se ferait sauter quand il n'aurait plus rien.

C'était un noble cœur, naïf comme l'enfance,
Bon comme la pitié, grand comme l'espérance.
Il ne voulut jamais croire à sa « pauvreté ».
L'armure qu'il portait n'allait pas à sa taille;
Elle était bonne au plus pour un jour de bataille,
Et ce jour-là fut court comme une nuit d'été.

 

Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire
Voltige-t-il encor sur tes os déchaînés ?
Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire;
Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés.
Il est tombé sur nous, cet édifice immense
Que de tes larges mains tu sapais nuit et jour.
La Mort devait t'attendre avec impatience,
Pendant quatre-vingts ans que tu lui fis ta cour;
Vous devez vous aimer d'un infernal amour.
Ne quittes-tu jamais la couche nuptiale
Où vous vous embrassez dans les vers du tombeau,
Pour t'en aller tout seul promener ton front pâle
Dans un cloître désert ou dans un vieux château?
Que te disent alors tous ces grands corps sans vie,
Ces murs silencieux, ces autels désolés,
Que pour l'éternité ton soufHe a dépeuplés?
Que te disent les croix? que te dit le Messie?
Oh! saigne-t-il encor, quand, pour le déclouer,
Sur son arbre tremblant, comme une fleur flétrie,
Ton spectre dans la nuit revient le secouer?
Crois-tu ta mission dignement accomplie,
Et comme l'Éternel, à la création,

Trouves-tu que c'est bien, et que ton œuvre est bon?
Au festin de mon hôte alors je te convie.
Tu n'as qu'à te lever; — quelqu'un soupe ce soir
Chez qui le Commandeur peut frapper et s'asseoir.

Entends-tu soupirer ces enfante qui s'embrassent?
On dirait, dans l'étreinte où leurs bras nus s'enlacent,
Par une double vie un seul corps animé.
Des sanglots inouïs, des plaintes oppressées,
Ouvrent en frissonnant leurs lèvres insensées.
En les baisant au front le Plaisir s'est pâmé.
Ils sont jeunes et beaux, et, rien qu'à les entendre,
Comme un pavillon d'or le ciel devrait descendre :
Regarde! — ils n'aiment pas, ils n'ont jamais aimé.

Où les ont-ils appris, ces mots si pleins de charmes,

Que la volupté seule, au milieu de ses larmes,

A le droit de répandre et de balbutier?

Ô femme! étrange objet de joie et de supplice!

Mystérieux autel où, dans le sacrifice,

On entend tour à tour blasphémer et prier!

Dis-moi, dans quel écho, dans quel air vivent-elles,

Ces paroles sans nom, et pourtant éternelles,

Qui ne sont qu'un délire, et depuis cinq mille ans

Se suspendent encore aux lèvres des amants ?

Ô profanation! point d'amour, et deux anges!

Deux cœurs purs comme l'or, que les saintes phalanges

Porteraient à leur père en voyant leur beauté!

Point d'amour! et des pleurs! et la nuit qui murmure,

Et le vent qui frémit, et toute la nature

Qui pâlit de plaisir, qui boit la volupté!

Et des parfums fumants, et des flacons à terre,

Et des baisers sans nombre, et peut-être, ô misère 1

Un malheureux de plus qui maudira le jour...

Point d'amour! et partout le spectre de l'amour!

Cloîtres silencieux, voûtes des monastères,
C'est vous, sombres caveaux, vous qui savez aimer!
Ce sont vos froides nefs, vos pavés et vos pierres,
Que jamais lèvre en feu n'a baisés sans pâmer.
Oh! venez donc rouvrir vos profondes entrailles

À ces deux enfants-là qui cherchent le plaisir
Sur un Lit qui n'est bon qu'à dormir ou mourir;
Frappez-leur donc le cœur sur vos saintes murailles.
Que la haire sanglante y fasse entrer ses clous.
Trempez-leur donc le front dans les eaux baptismales,
Dites-leur donc un peu ce qu'avec leurs genoux
Il leur faudrait user de pierres sépulcrales
Avant de soupçonner qu'on aime comme vous!

Oui, c'est un vaste amour qu'auibnd de vos calices
Vous buviez à plein cœur, moines mystérieux!
La tête du Sauveur errait sur vos cilices
Lorsque le doux sommeil avait fermé vos yeux,
Et, quand l'orgue chantait aux rayons de l'aurore,
Dans vos vitraux dorés vous la cherchiez encore.
Vous aimiez ardemment! oh! vous étiez heureux!

Vois-tu, vieil Arouet? cet homme plein de vie,
Qui de baisers ardents couvre ce sein si beau,
Sera couché demain dans un étroit tombeau.
Jetterais-tu sur lui quelques regards d'envie?
Sois tranquille, il t'a lu. Rien ne peut lui donner
Ni consolation ni lueur d'espérance.
Si l'incrédulité devient une science,
On parlera de Jacque, et, sans la profaner,
Dans ta tombe, ce soir, tu pourrais l'emmener.

Penses-tu cependant que si quelque croyance,

Si le plus léger fil le retenait encor,

Il viendrait sur ce lit prostituer sa mort!

Sa mort! — Ah! laisse-lui la plus faible pensée

Qu'elle n'est qu'un passage à quelque lieu d'horreur,

Au plus affreux, qu'importe ? Il n'en aura pas peur;

Il la relèvera, la jeune fiancée,

Il la regardera dans l'espace élancée,

Porter au Dieu vivant la clef d'or de son cœur!

Voilà pourtant ton œuvre, Arouet, voilà l'homme
Tel que tu l'as voulu. —
C'est dans ce siècle-ci,
C'est d'hier seulement qu'on peut mourir ainsi.
Quand Brutus s'écria sur les débris de Rome : «
Vertu, tu n'es qu'un nom! » il ne blasphéma pas.
Il avait tout perdu, sa gloire et sa patrie,
Son beau rêve adoré, sa liberté chérie,
Sa Portia, son Cassius, son sang et ses soldats;
Il ne voulait plus croire aux choses de la terre.
Mais, quand il se vit seul, assis sur une pierre,
En songeant à la mort, il regarda les deux.
Il n'avait rien perdu dans cet espace immense;
Son cœur y respirait un air plein d'espérance;
Il lui restait encor son épée et ses dieux.

Et que nous reste-t-il, à nous, les déicides?
Pour qui travailliez-vous, démolisseurs stupides,
Lorsque vous disséquiez le Christ sur son autel?
Que vouliez-vous semer sur sa céleste tombe,
Quand vous jetiez au vent la sanglante colombe
Qui tombe en tournoyant dans l'abîme éternel?
Vous vouliez pétrir l'homme à votre fantaisie;
Vous vouliez faire un monde. — Eh bien, vous l'avez fait.
Votre monde est superbe, et votre homme est parfait!
Les monts sont nivelés, la plaine est éclaircie;
Vous avez sagement taillé l'arbre de vie;
Tout est bien balayé sur vos chemins de fer,
Tout est grand, tout est beau, mais on meurt dans votre air.

 

 

 

De nos jours aussi écoutez chanter Georges Brassens (écoutez-le ! En vidéo, surtout la dernière phrase) :

Paroles de la chanson Le Grand Pan par Georges Brassens

Du temps que régnait le Grand Pan,
Les dieux protégeaient les ivrognes
Un tas de génies titubants
Au nez rouge, à la rouge trogne.
Dès qu'un homme vidait les cruchons,
Qu'un sac à vin faisait carousse
Ils venaient en bande à ses trousses
Compter les bouchons.
La plus humble piquette était alors bénie,
Distillée par Noé, Silène, et compagnie.
Le vin donnait un lustre au pire des minus,
Et le moindre pochard avait tout de Bacchus.

Mais se touchant le crâne, en criant " J'ai trouvé "
La bande au professeur Nimbus est arrivée

Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les dieux du firmament.

Aujourd'hui çà et là, les gens boivent encore,
Et le feu du nectar fait toujours luire les trognes.[ de nos jours même plus !!!!!:!!!!! les politically-correct et leur société « hygiéno-sécuritaire », vertueuse et TOTALITAIRE l’ont INTERDIT !!!! et les BOBOs en auraient honte les sales cons!!!]
Mais les dieux ne répondent plus pour les ivrognes.
Bacchus est alcoolique, et le grand Pan est mort.

Quand deux imbéciles heureux
S'amusaient à des bagatelles,
Un tas de génies amoureux
Venaient leur tenir la chandelle.
Du fin fond des Champs Elysées
Dès qu'ils entendaient un " Je t'aime ",
Ils accouraient à l'instant même
Compter les baisers.

La plus humble amourette Était alors bénie
Sacrée par Aphrodite, Eros, et compagnie.
L'amour donnait un lustre au pire des minus,
Et la moindre amoureuse avait tout de Vénus.

Mais se touchant le crâne, en criant " J'ai trouvé "
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les dieux du firmament

Aujourd'hui çà et là, les coeurs battent encore,
Et la règle du jeu de l'amour est la même.
Mais les dieux ne répondent plus de ceux qui s'aiment.
Vénus est faite femme, et le grand Pan est mort.
Et quand fatale sonnait l'heure
De prendre un linceul pour costume
Un tas de génies l'oeil en pleurs
Vous offraient les honneurs posthumes.
Pour aller au céleste empire,
Dans leur barque ils venaient vous prendre.
C'était presque un plaisir de rendre
Le dernier soupir.
La plus humble dépouille était alors bénie,
Embarquée par Charon, Pluton et compagnie.
Au pire des minus, l'âme était accordée,
Et le moindre mortel avait l'éternité.

Mais se touchant le crâne, en criant " J'ai trouvé "
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les dieux du firmament

Aujourd'hui çà et là, les gens passent encore,
Mais la tombe est hélas la dernière demeure
Les dieux ne répondent plus de ceux qui meurent.
La mort est naturelle, et le grand Pan est mort.

Et l'un des dernier dieux, l'un des derniers suprêmes,
Ne doit plus se sentir tellement bien lui-même
Un beau jour on va voir le Christ
Descendre du calvaire en disant dans sa lippe
" Merde je ne joue plus pour tous ces pauvres types."
J'ai bien peur que la fin du monde soit bien triste.

 

04/01/2024

chien souriant

 Oui ! les chiens peuvent avoir un sourire, certains, quand ils ont une paire de lèvres de chaque côté de la gueule, regardez :

sonsourire.jpg

or , mon père avait je trouve un sourire très spécial, et il l'avait même conservé, ou au moins certaines façons de faire des mines, sur son lit d'hôpital, à moitié paralysé.
Or ce sourire je l'ai retrouvé chez mon chien Colley. rapportez-vous à la photo ce-dessus.

Et maintenant, mon père :

APlatteau.jpg

AlbertPlatteauà73ans.jpg

*

24/08/2023

Roberto Ardigo, Armand Salacrou - il règne sur ce sujet un tabou, j'te dis pas!!

Roberto Ardigo

Roberto Ardigo, philosophe positiviste italien, qui a fini par se suicider :

« par suite du refroidissement progressif de la terre notre monde doit mourir, lui aussi, avec tous les êtres auxquels il donne vie ; et si c’est là le sort extrême de tous les mondes disséminés dans l’univers, à quoi sert donc l’élévation progressive de l’humanité ? à A quoi bon le culte de l’art, du Beau, du Bon ? La fièvre de savoir, de se consacrer à un idéal ? à quoi sert la vie ? A quoi servent tant de douleurs matérielles et morales, souffertes par les êtres auxquels a été accordé, sans qu’ils l’aient demandé, le don sadique de la vie ? »

Quelle immense déception pour une âme élevée telle que celle de Roberto Ardigo (ou celle de Miguel de Unamuno aussi, lisez le ! il est incontournable, et combien ça change des conneries sophistiques égoïstes et nécrophiles qu’on entend de nos jours) ! Il ne pouvait s’empêcher de contempler, épouvanté, l’abîme de la vanité infinie de tout. Il ne pouvait s’empêcher de se révolter en présence de cette ironie tragique du sort. Il valait donc mieux défier fortement la destinée de la seule façon permise à un vivant : se libérer, par le suicide, du supplice moral de contempler, impuissant, la tragédie de l’être, et sa propre prochaine disparition éternelle. Robert Ardigo a été conséquent avec lui-même. Les philosophes qui partagent ses convictions matérialistes, et qui, malgré cela, ne finissent pas comme lui par le suicide, sont heureusement inconséquents.

PEGUY 

" .. sauver de l’Absence éternelle
Les âmes des damnés s’affolant de l’Absence,"

 

On ne lit plus assez SALACROU

« Alors, là nous sommes tous en plein cauchemar depuis l’instant où nous avons compris que nous étions vivants. Vous souvenez-vous, Monsieur Lenoir, de l’instant précis où, tout à coup, petit garçon, vous avez eu cette révélation : « Je suis un vivant, j’aurais pu ne pas exister, et je vais mourir. » Non ? moi, si. Et je me suis évanoui. C’était une charge intolérable sur les épaules de ce petit enfant» (Armand SALACROU, in « L’archipel Lenoir »)

oui, j'ai toujours été ébahi, n'ai jamais compris comment se fait-il qu'il n'y ai pas plein d'enfants qui se suicident à l'age de raison (disons 12 ans)

comment peut-on vivre encore étant adulte, où théoriquement c'est pire, et toutes les autres sujets de douleurs métaphysiques, personnelles, sentimentales, et sociales qui vous tombent dessus ? et quand on est vieux ?

Ben, il y a un détail auquel je n'avais pas encore prêté attention, mais Simone de Beauvoir si !
il y a dans les mémoires de Simone de Beauvoir une remarque très importante et dont je prend maintenant conscience de la justesse, c'est quand elle dit « Quand je me jetais dans le malheur, c'était avec toute la violence de ma jeunesse, de ma santé, et la douleur morale pouvait me ravager avec autant de sauvagerie » etc
eh oui ! C'est comme ça que ça se passe; et aussi comme quand on est enfant on est plus conscient, plus sensible, plus intelligent, plus en contact avec la réalité que les adultes, et ça va constamment en se dégradant quand on devient adulte, puis en vieillissant. Il y a aussi comme une fainéantise de la conscience, et de la douleur qui ravage tout. Et on souffre dans la même mesure qu'on est vivant en fait et qu'on en a la santé ! La santé. Même le désespoir et l'abattement demandent de la santé, quand on est trop engourdi on ne sait même plus être désespéré, que dis-je même plus être abattu.

n'empêche que
c'est effarant à quel point comme disait Camus les gens font "comme s'ils ne savaient pas". Il règne sur ce sujet un tabou, j'te dis pas !!