18/10/2024
l'amour
CHOUBERT : Est-ce bien toi, Madeleine ? est-ce bien toi, Madeleine ? Quel malheur ! Comment cela est-il arrivé ? Comment est-ce possible ? On ne s’en était pas aperçus… Pauvre petite vieille, pauvre poupée défraîchie, c’est toi pourtant. Comme tu as changé ! Mais quand cela est-il arrivé ? Comment n’a-t-on pas empêché ? Ce matin il y avait des fleurs sur notre chemin. Le soleil remplissait le ciel. Ton rire était clair. Nous avions des vêtements tout neufs, nous étions entourés d’amis. Personne n’était mort, tu n’avais encore jamais pleuré. L’hiver est venu brusquement. Notre route est déserte. Où sont-ils les autres ? Dans les tombeaux, au bord de la route. Je veux notre joie, nous avons été volés, nous avons été dépouillés. Hélas ! hélas, retrouverons-nous la lumière bleue. Madeleine, crois-moi, je te jure ce n'est pas moi qui t'ai vieillie ! Non ... je ne veux pas, je ne crois pas, l'amour est toujours jeune, l'amour ne meurt jamais. Je n'ai pas changé. Toi non plus, tu fais semblant. Oh pourtant si, je ne puis me mentir, tu es vieille, comme tu es vieille ! Qui t'a fait vieillir ? Vieille, vieille, vieille, vieille, petite vieille, poupée vieille. Notre jeunesse, sur la route. Madeleine, ma petite fille, je t'achèterai une robe neuve, des bijoux, des primevères. Ton visage retrouvera sa fraîcheur, je veux, je t'aime, je veux, je t'en supplie, quand on aime on ne vieillit pas. Je t'aime, rajeunis, jette ton masque, regarde-moi dans les yeux. Il faut rire, ris, ma petite fille, pour effacer les rides. Oh ! si nous pouvions courir en chantant. Je suis jeune. Nous sommes jeunes.
Les sources printanières... Les feuilles nouvelles ... Le jardin enchanté a sombré dans la nuit, a glissé dans la boue... Notre amour dans la nuit, notre amour dans la boue, dans la nuit, dans la boue ... Notre jeunesse perdue, les larmes deviennent des sources pures... des sources de vie, des sources immortelles... Les fleurs fleurissent-elles dans la boue ...
IONESCO
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