21/09/2017
les patrons se plaignent de ne plus pouvoir exploiter les travailleurs chinois comme par le passé
" s’il est bien difficile de prévoir les conséquences politiques du ralentissement économique de la Chine, il reste que, pendant ces années où ce pays est devenu l’atelier du monde, un prolétariat chinois considérable s’est développé, un des prolétariats les plus nombreux du monde. L’immense paysannerie de ce pays s’est déjà largement prolétarisée. À la campagne, on ne trouve souvent plus que les anciens. Leurs enfants ont migré vers les zones urbaines. 274 millions de Chinois sont ainsi des travailleurs migrants, des mingongs, qui ont, avec les centaines d’autres millions d’ouvriers et de prolétaires des villes, construit la Chine moderne qu’on voit s’afficher à Shanghai ou à Pékin, et qui ont assuré la fortune de la bourgeoisie chinoise et des couches dirigeantes de l’appareil d’État. Les travailleurs migrants sont des Chinois de seconde ou de troisième zone, les plus exploités. Ils représentent un tiers de la population active, l’essentiel des ouvriers dans la construction et dans l’industrie, en particulier dans les entreprises privées ou semi-privées. Les deux tiers d’entre eux n’ont même pas de contrat de travail. Contraints par leur passeport interne, le hukou, qui les lie de façon héréditaire à leur province d’origine, ils n’ont souvent droit à rien dans les villes où ils travaillent, à aucun service public, aucune école publique, aucune santé publique. Leurs salaires sont inférieurs à la moyenne, mais leurs salaires réels sont encore plus bas, car ils doivent tout payer avec. Autant dire que l’État, criblé de dettes, n’est pas près de revenir sur cette ségrégation sociale, tant cela lui coûterait.
Au total, la population active chinoise est d’environ 800 millions de personnes. Dans les usines à proprement parler, il y a plus de 100 millions d’ouvriers. Des dizaines de millions d’ouvriers travaillent dans les mines, d’autres dizaines de millions sont dans le bâtiment. Une centaine de millions de travailleurs sont employés dans les commerces. Et enfin des dizaines de millions font des petits boulots et vivent comme ils peuvent. Tout cela dessine une classe ouvrière moderne, jeune et dynamique, et qui, ces dernières années, n’a pas manqué de se battre.
Les luttes grévistes
La grève est devenue une des armes utilisées couramment par les travailleurs, une arme qu’ils ont expérimentée dans la lutte pour de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail, une meilleure couverture sociale et pour de meilleures pensions de retraite. La question des salaires et de la couverture sociale est essentielle car, dans ce pays, ce sont les entreprises où l’on travaille qui abondent elles-mêmes les fonds qui seront distribués sous forme de pensions de retraite. Il n’y a pas de mutualisation. En Chine, un travailleur est exploité dans les usines proprement dites en général jusqu’à l’âge de 40 ans. Au-delà, il est considéré comme trop vieux, pas assez habile, et doit souvent se contenter d’un emploi dans le bâtiment ou dans le commerce, moins bien payé. Et c’est l’argent épargné entre 20 et 40 ans qui permet ensuite de faire face, avec difficulté, aux aléas de la vie, de compenser les salaires plus faibles et les pensions de misère. Aussi la lutte pour les salaires est-elle vitale.
Les salaires ouvriers chinois varient aujourd’hui autour de 400 dollars mensuels. S’ils sont supérieurs à ceux pratiqués au Vietnam ou au Cambodge, ils restent bien inférieurs à ceux de Taïwan, du Japon et des pays occidentaux. La Chine est toujours un pays à bas salaires. Mais il est notable que les ouvriers chinois ont réussi malgré tout à imposer que, entre 2008 et 2014, le salaire minimum soit doublé dans de nombreuses villes, et qu’en dix ans le salaire moyen ait plus que triplé ; des hausses qu’il faut bien sûr relativiser en tenant compte de l’inflation et en particulier de la hausse des prix de l’immobilier. Ces hausses de salaire ont été le fruit des luttes grévistes. En la matière, la presse chinoise officielle donne surtout des nouvelles des grèves dans les entreprises étrangères. Mais elles sont caractéristiques d’une véritable ambiance. À l’été 2010, une grève dans l’usine de Foshan du groupe japonais Honda paralysa toutes les usines chinoises du groupe, faute de pièces détachées. La direction de Honda lâcha une augmentation de 50 % des salaires, qui passèrent de 1 600 à 2 400 yuans par mois (soit de 200 à 300 euros à l’époque). Pour ce que l’on en sait, la contagion gagna alors le pays. Dans la ville de Dalian, dans la province du Liaoning, à proximité de la Corée, 70 000 ouvriers répartis dans 73 entreprises distinctes se mirent en grève dans les mois qui suivirent. En 2014, une autre série de grèves secoua la Chine. La plus connue de ces grèves se déroula au printemps, quand à Dongguan, l’un des principaux centres industriels chinois situé près de Hong-Kong, 40 000 travailleurs de Yue Yuen, le plus grand producteur mondial de chaussures (une paire de chaussures sur cinq vendues dans le monde), sous-traitant de Nike, Adidas ou Asics, cessèrent le travail pour exiger une meilleure couverture sociale.
Ces quinze dernières années, la jeunesse ouvrière chinoise a donc démontré qu’elle n’était pas corvéable à merci. Voilà ce qu’en dit un patron chinois : « Les jeunes nés après 1990 sont beaucoup plus difficiles à gérer. Ils changent de travail dès qu’ils trouvent un bon job ailleurs et communiquent très vite avec les réseaux sociaux pour s’informer de telle OCCASION mieux payée. Ils ne veulent pas passer 8 h à 10 h par jour au travail, alors qu’en 2000 on pouvait aisément atteindre les 14 heures quotidiennes. ». Les patrons se plaignent de ne plus pouvoir exploiter les travailleurs chinois comme avant !
La classe ouvrière chinoise face au ralentissement de l’économie
La fin de l’année 2015 s’est traduite aussi, semble-t-il, par une nouvelle série de grèves. Selon l’association China Labour Bulletin basée à Hong Kong, qui recense les grèves qu’on lui signale sur les réseaux sociaux, il y eut en décembre et en janvier dernier, avant les fêtes pour le nouvel an chinois, trois fois plus de grèves qu’il n’y en eut en moyenne l’année précédente. Cette fois-ci, le motif qui revenait le plus n’était pas les augmentations de salaire. Sur les 503 conflits recensés en janvier, 439 concernaient le paiement d’arriérés de salaire ou des luttes contre les baisses de salaire, symptomatiques du ralentissement de l’économie et de l’endettement des entreprises.
Pour la classe ouvrière chinoise, une bonne partie de la menace vient du gouvernement chinois, qui a ouvertement annoncé un plan de guerre sociale contre les travailleurs, en premier lieu dans les secteurs qui sont estimés en surcapacité ou surendettés. La Chine se prépare ainsi à supprimer des millions d’emplois dans ce que les Chinois appellent les entreprises zombies, des entreprises d’État qui ne tiennent que par le crédit. Cela concernerait 1,8 million d’emplois dans le secteur minier et dans la sidérurgie sur les cinq prochaines années. Dans le charbon, on a déjà entendu parler des travailleurs de Longmay qui, à plusieurs centaines, ont manifesté et fait grève en mars dernier à Shuangyashan pour protester contre les arriérés de salaire. Longmay, c’est 250 000 travailleurs et 100 000 licenciements programmés. Dans les chantiers navals, dans la production de ciment, on peut s’attendre là aussi à des centaines de milliers de suppressions d’emplois, en particulier dans les entreprises d’État. Dans le bâtiment, les suppressions d’emplois se feront, ou se font peut-être déjà, sans grande décision étatique, car le secteur est entre les mains de nombreux capitalistes indépendants. Et, comme dans les usines dont la production est en recul ces derniers mois, ce seront les travailleurs migrants, ceux qui n’ont pas même un contrat de travail, qui seront les premiers à être mis à la porte.
Dans un proche avenir, les travailleurs chinois devront donc se battre pour défendre leurs positions, comme ils le font déjà pour se faire payer les arriérés de salaire. Et c’est peut-être cette nouvelle période troublée que prépare le pouvoir en se radicalisant et en se personnifiant de plus en plus dans son leader Xi Jinping. En Chine, le PC est le parti unique et dirigeant, le parti qui concentre en son sein tous ceux qui se sont enrichis ces dernières années. En 2015, selon les chiffres avancés par un journal local, plus d’un tiers des cent premières fortunes de Chine siégeaient soit au Parlement chinois, soit dans l’Assemblée politique consultative nationale. La richesse cumulée de ces 36 personnes équivalait à 1 200 milliards de yuans (190 milliards de dollars), soit davantage que le produit intérieur brut (PIB) du Vietnam. Au total, 30 % des 1 000 premières fortunes chinoises occuperaient une position officielle, et les dirigeants du parti et de l’État sont parmi les premiers servis. Le leader actuel Xi Jinping est un « prince rouge », dont la fortune de près de 400 millions de dollars est abritée dans quelques paradis fiscaux. C’est dire si la lutte anticorruption qu’il a entreprise depuis son accession au pouvoir est surtout l’occasion d’imposer le pouvoir de son clan. Xi Jinping s’est par ailleurs mis à cumuler fonction sur fonction, occupant tous les espaces à la tête de l’appareil d’État, dans le secteur économique, dans le secteur militaire. Tout se passe en fait comme si Xi Jinping faisait le vide autour de lui, éliminant toute opposition possible, toute équipe de rechange qui pourrait émerger et avoir la tentation de s’imposer, dans une période qui pourrait devenir politiquement agitée.
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