02/05/2021
réhabiliter Gobineau ?
Il y a un grand malentendu sur Gobineau.
Il est constamment présenté comme le fondateur du racisme idéologique, ce qui n'est pas tout à fait faux (pas vrai non plus ! son livre est de 1853, or en 1844 Disraeli publie Coningsby, où son personnage Sidonia dit "la race est tout, il n'y a pas d'autre vérité" et en 1851 un journal britannique déclare : "ethnologiquement la race celtique est une race inférieure, .. et on ne peut échapper à cette loi cosmique, qui fait qu'elle est par conséquent destinée à disparaître")
mais sans autre précision cette affirmation crée un assez fort malentendu,
Car, étant donné les développements que connu par la suite le racisme idéologique (et le pas-idéologique aussi !), on lui donne une image colorée par ceux-ci.
Or Gobineau était tout autre que ce que un habitant de notre époque pourrait imaginer.
C'était un homme cultivé et de beaucoup d'esprit. Il s'était spécialisé dans l'étude du Moyen-Orient antique et contemporain, et il était un fin connaisseur, et sans préjugés défavorable, du monde iranien, où il a longtemps voyagé, il avait même beaucoup de sympathie pour le Baha'isme. Il voyait bien que l'Europe allait mettre le grappin sur tous ces pays et voyait ça avec tristesse.
Contrairement à ce que sont d'ordinaires les racistes il ne considérait pas sa propre race comme la supérieure : et mettait les anglo-saxons au-dessus des français. Il n'avait rien d'un "social-darwinien" (le darwinisme n'existait pas encore), ni d'un "hygiéniste" à la mode de Hitler, par ailleurs il n'était pas le moins du monde antisémite, au contraire.
Chose peu courante chez les racistes il se considérait comme un « citoyen du monde », et dans une lettre, il dit «Mi havas eksterordinaran intereson je miaj ĉiutagaj interparoloj kun la indiĝenoj, kaj mi tute ne havas pri ili la malbonan opinion, kiun oni en Eŭropo ŝatas fari al si pri ili » (« j'éprouve un intérêt extraordinaire dans mes conversations avec les indigènes, et je n'ai pas du tout à leur sujet la mauvaise opinion que, en Europe, on se plaît à se faire sur eux » - correspondance avec A. de Toqueville, théoricien du "libéralisme" qui en l'ocurence se montrait beaucoup plus raciste, dans le sens moderne du terme, que Gobineau, traduction en Espéranto Vilhelm Lutterman) dans une autre lettre de voyage c'est avec avec amusement qu'il dit que sa fille « fariĝis vera turkmeninano, escepte de la haŭtkoloro, kiu estas tiu de abesinianino » (« est devenue comme une vraie turkmène, à l'exception de la couleur de sa peau, qui est celle d'un abyssinienne » - même source).
C'était en fait un aristocrate conservateur et pessimiste, dont les thèses racistes étaient surtout un constat désolé, car il était tout aussi persuadé que les anti-racistes d'aujourd'hui qu'on allait vers un métissage général, sauf que à ses yeux c'était une décadence.
Par la Wikipédia on apprend en outre que :
"D'autre part, comme l'indique Claude Lévi-Strauss dont Race et histoire est certainement la formulation la plus brillante et la plus rigoureuse des théories gobiniennes, la distinction primordiale qu'établit Gobineau entre les races n'est pas tant quantitative que qualitative, et prétend témoigner d'aptitudes différentes plutôt que similaires et inégales. Contre le métissage, Gobineau, comme Lévi-Strauss, et en dépit de tics de langage aujourd'hui périmés, se veut ainsi le défenseur de la diversité ethnique et culturelle, telle qu'il l'a lui-même pratiquée par une curiosité et une empathie de toujours envers les peuples étrangers auxquels il s'est confronté avec une allégresse communicative. Révélé dans ses récits de voyage et ses nouvelles, son amour de l'Iran, de la Grèce et de la Suède montre bien moins on ne sait quelle préférence "aryenne", qu'un goût très vif pour l'exotisme. "Blancs", "Noirs" et "Jaunes" ne sont que des archétypes, qu'il reconnaît d'ailleurs lui-même pour hypothétiques, et qui donnent surtout lieu à une impressionnante récapitulation narrative.
C'est dans le cours de sa narration que Gobineau prend le plus nettement position sur les thèmes des théories raciales, dans un sens généralement beaucoup plus moderne que la plupart de ses contemporains. Une page célèbre de l’Essai est ainsi consacrée à un éloge des Juifs ; une autre, moins connue, est une violente accusation de l'eugénisme tel qu'il était pratiqué dans certaines cités de l'antiquité grecque ; une autre enfin montre son opposition à la colonisation, et s'élève avec une ironie cinglante contre le génocide des Amérindiens. Ces positions, étrangères à la théorie propagée par la vulgate gobinienne propagée après sa mort, sont en revanche extrêmement cohérente avec l'hostilité de Gobineau à la démocratie, qu'il juge un danger contre le génie individuel de chacun."
Par ailleurs son livre sur les races ne constitue qu'une partie de son œuvre. On a déjà évoqué ses études sur l'Iran,
Je vous recommande de lire « 3 ans en Asie », c'est ici (on peut aussi le télécharger) on y découvre bien des choses et ça aide à comprendre l'Iran actuel aussi ! :
tome 1 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k39252j
tome 2 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k39253w
il faut encore ajouter - outre des poèmes et des essai malheureux de sculpture ! - des pièces de théâtre et des romans, pas des chefs-d'œuvre mais d'excellente venue, pleins de psychologie et d'un humour pince-sans-rire.
c'est aussi un littérateur qui mérite d'être encore lu, surtout si on veut se replonger dans la société et les modes de vie et de pensée du XIXème siècle, je vous recommande sa "Chasse aux caribou" :
http://abu.cnam.fr/cgi-bin/go?caribou1 qui nous présente de façon intelligente et humoristique un "choc de civilisations", entre un "petit-maître" français de l'époque et des colons anglo-saxons de Terre-Neuve, je ne vous en dit pas plus !
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