Derrière toutes les propagandes, la vie dans la Russie actuelle (29/05/2022)

Deux vielles dames on voyagé en Russie, et font ce que les journalistes devraient faire (si ils étaient libres ....; et si ils faisaient leur boulot !...) 

"Pour vous mettre dans l’ambiance, il n’arrête pas de pleuvoir à Kazan, ce qui rafraîchit l’atmosphère et empêche la chaleur de s’installer, mais enfin nous pouvons quitter les vêtements d’hiver que nous avons dû porter jusqu’ici et mettre des sandales. Nous les récupérerons  en arrivant à Moscou, parce que dans la capitale moscovite, il fait la température de 16 degrés, celle d’un beau mois de novembre à Marseille, avec un pull à col roulé, je suis tout juste en train d’éviter le coup de froid. Nous suivons votre canicule, nous recevons vos messages sur l’impossibilité de dormir, les classes suspendues parce qu’il est impossible d’étudier dans pareille fournaise, avec étonnement : tout cela nous paraît très exotique. Il y a aussi l’histoire des groupes à l’assemblée nationale, les esprits qui s’échauffent, les insultes échangées sur les réseaux sociaux. Pour nous deux l’affaire est claire: il faut deux groupes avec coopération et passer à autre chose rapidement. Parce qu’entre nous Macron et ce qui se met en place ce n’est pas rien, d’ici nous mesurons les dangers de guerre, mais aussi un espèce de fascisme planétaire visant à éliminer les canards boiteux, les inadaptés à la concurrence farouche entre êtres humains. Ce qui règne ici, un capitalisme sans entrave. Mais c’est comme la canicule, difficile à comprendre tant qu’on y est pas.

Ziouganov a dit: 80% des terres russes sont en friche

Nous ne savons que peu de choses en définitive de ce qu’est le Tatarstan et encore moins l’ex-URSS. Marianne en allant à Samara a entrevu une autre réalité et m’en fait part. C’est ce que nous avions déjà découvert en Crimée. Le désastre laissé dans les campagnes par la disparition de l’agriculture collectiviste. Sur des terres jadis fertiles et cultivées tout est désormais à l’abandon. Il suffit, comme elle l’a fait de prendre le car pour 8 heures de trajet vers une autre république pour à quarante kilomètre de Kazan voir surgir un autre monde, des routes plutôt mal entretenues et des publications locales qui proposent des prêts à des taux usuriers, on achète aux femmes leurs cheveux et à Kazan la pimpante succède un monde qui glisse vers le sous-développement. Plus d’école, plus de services sanitaires. Les jeunes quittent ce monde et la vieillesse de la population redouble le sous-développement. Il y a encore de la tendresse, de l’attention aux autres, plus que chez nous. Marianne me décrit cette vieille tatare qui s’est fait arrêter au bord du chemin dans une sorte de no man’s land, on devait venir la chercher et il n’y a personne. Une femme russe s’en inquiète, elle ne parle pas tatar, une autre sert d’interprète, elles empêchent le car de repartir tant que le sort de cette pauvre vieille n’est pas résolu, tout le monde d’ailleurs est d’accord, on ne peut pas l’abandonner. On multiplie les coups de téléphone jusque ce que l’affaire soit résolue et que les enfants enfin arrivés récupèrent la babouchka. Pour le moment les solidarités traditionnelles et déjà confessionnelles suppléent à cette désertification. C’est ce qu’a très bien décrit Kochanlovski dans les nuits blanches du facteur, ce groupe humain perdu dans l’espace immense de lacs et de forêts de bouleaux qui survit et dans lequel le facteur sert de lien, et poursuit à sa manière un monde soviétique disparu. Un service public défunt, des écoles vides où il croit entendre les chants joyeux des écoliers de jadis. Mais ce qu’on perçoit peut être encore plus terrible, une partie des plus pauvres glisse dans le retour à une sorte d’état sauvage, se nourrit de baies et élève poules et lapins, quelques tentatives de vente à la ville voisine. A Samara, les communistes ont tenté de recréer des formes d’élevage collectif, du poulet, de qualité aux normes biologiques comme dans l’ancienne URSS. Mais vu le niveau des salaires de la population des villes, ils n’ont pas pu faire face à la concurrence des produits exportés du monde entier et ils viennent de fermer. Face aux sanctions des occidentaux le gouvernement a lancé une politique de distribution des terres en particulier en Sibérie, mais si les communistes approuvent l’idée, ils jugent à juste raison que cette initiative supposerait une politique planificatrice globale de leur installation qui fait cruellement défaut. Seuls les Chinois pourraient répondre aujourd’hui à un tel défi. Les oligarques qui gouvernent le pays et continuent à le dépecer ne veulent pas de cette surveillance de l’Etat à la mode chinoise, la volonté d’indépendance de Poutine trouve ici ses limites et la corruption qui gangrène tous ceux qui peuvent monnayer une petite part de leur autorité prend des allures folles. A Moscou, le secrétaire du parti avec qui nous discutons nous cite à titre d’anecdote le fait que pour avoir une plaque d’immatriculation de sa voiture à trois chiffres identiques il faut verser un pot de vin équivalent au prix d’une voiture de luxe étrangère, mais cela vous garantit la bienveillance à tous les contrôles de police. Alors que la loi est sensée rester égalitaire par mille et une initiative de ce type des mafias se sont créées autour du pactole et les inégalités sont chaque jour plus profondes.

Pym que nous interrogeons sur la question des campagnes, nous dit que c’est peut-être pire que cette désertification évidente. Il nous décrit une scène qui l’a profondément marqué, c’était le jour de la fête des morts dans laquelle les familles ont coutume de porter de la nourriture sur les tombes. Il a vu le soir tombant des hordes misérables de vieillards, femmes et enfants venir récupérer la nourriture…

Ziouganov, le secrétaire du KPRF  me dit Marianne, a des idées qui sont comme des leitmotivs sur lesquelles il brode d’une manière différente dans ses discours, mais qui sont récurrentes, l’une d’entre elle est que 80% des terres russes sont désormais en friche, en allant à Samara je me suis aperçue qu’il disait vrai.

De la popularité de Staline et de la lutte contre la corruption

L’ère Poutine a un peu amélioré ce drame des années Elstine que tout le monde hait comme Gorbatchev. On voit plus de jeunes enfants, moins d’ivrognes. Poutine est le moins pire et soit on vote pour lui, soit l’abstention s’étend dans un monde qui perd l’espoir de retrouver la douceur des années disparues. Dans une telle vision, la popularité de Staline s’étend parce que lui seul aurait été capable d’en finir avec ce qui se passe aujourd’hui. Marianne explique  encore à un chauffeur de taxi qu’en occident on compare Staline à Hitler et Poutine serait sa réincarnation. Il ne relève même pas la comparaison Hitler Staline tant elle lui parait absurde mais il proteste: « Non Poutine n’est pas Staline. Staline aurait fusillé tous ces pillards impitoyablement, Poutine les laisse faire ».

Le parti communiste est-il encore communiste puisqu’il n’est pas capable de faire comme Staline? on peut en douter. Mais nous y reviendrons. En tous les cas sa popularité et celle de Lénine reste incontestable. A Samara, le pouvoir soviétique avait fait construire un bunker sous terre si jamais Moscou était prise par les armées allemandes. Marianne est allée le visiter avec des camarades du KRPF, beaucoup mieux implantés ici que dans le Tartastan voisin où ils ont subi la défaite électorale que nous avons décrite par suite de la colère du monde ouvrier de cette république. Non seulement ils nous attendaient toutes les deux mais ils avaient préparé un programme de visites et discussion. C’est une joie pour eux de voir venir des camarades de France, ce pays qu’ils admirent et dont ils rêvent. Donc Marianne a été conduite dans le bunker où un guide enthousiaste a expliqué non seulement toute l’épopée de la deuxième guerre mondiale mais aussi les raisons pour lesquelles, selon lui, Khrouchtchev haïssait Staline. Le fils de Khrouchtchev faisait partie de la jeunesse dorée et s’amusait à des jeux stupides en l’occurrence, il se prenait pour Guillaume Tell. Malheureusement en visant la pomme, il avait tué un officier. Arrêté et jugé, il devait être envoyé au point le plus périlleux du front celui dont on ne revenait pas. Khrouchtchev avait supplié, il s’était mis à genoux. Staline qui on le sait avait refusé de sauver son propre fils, l’avait repoussé et Khrouchtchev n’avait jamais revu son enfant. Marianne a demandé d’où le guide tenait l’anecdote, de quels écrits, quel historien et le guide de répondre « C’est ce que l’on s’est passé de bouche à oreille quand on a voulu nous inventer un Staline dictateur et massacreur du peuple ». Il est vrai qu’il y a eu une sorte de résistance secrète. Les statues de Lénine sont encore en place, mais celles de Staline ont disparu en 1956. Dans les années soixante et dix, Marianne jeune étudiante en Russe se souvient de cet étudiant qui avait ouvert un tiroir et montré furtivement un portrait de Staline caché là. Le culte secret connait désormais un regain de popularité. Sans parler des masses de touristes chinois qui font des circuits à thèmes et se ruent dans les magasins de souvenirs sur les portraits de Lénine et de Staline. D’ailleurs partout, des pancartes indiquent en chinois que les souvenirs sont « soviétiques ».

A Kazan, les chauffeurs de taxis restent une mine d’information. Certains sont des ingénieurs qualifiés, l’un d’eux excédé vient de quitter l’administration, il explique que le nouveau pouvoir a mis en place son propre système administratif. Il double tous les agents compétents de l’ancien système soviétique vieillissant par ses propres créatures, ces gens-là sont payés le double, ils ne savent rien faire d’autre qu’organiser un système de perception d’avantages autour du pouvoir et son clan de pillards. Si quelqu’un est trop honnête et ne veut pas participer aux affaires, il est viré, à tous les niveaux. Les anciens hérités du système soviétique continuent à faire le travail à la manière du facteur des nuits blanches tout en étant sous-payés et ils doivent avoir plusieurs boulots, dépasser l’âge de la retraite en restant là. Les communistes incarnent trop souvent la nostalgie impuissante de ce monde en train de disparaître et que la jeunesse n’a même plus le temps d’évoquer, tant elle est occupée à tenter de faire sa place dans la dureté des temps nouveaux où tout s’achète et tout se vend.

Et la question de la propriété collective des moyens de production dans tout ça?

Ce qui est extraordinaire c’est à quel point la question de la corruption est posée en termes moraux, comme d’ailleurs l’image de l’Union soviétique, en termes culturels aussi, un monde digne, sans vulgarité et de fraternité entre les individus, les peuples, les âges et les casses sociales, paysans, ouvriers intellectuels, mais jamais il n’est question des privatisations, ni de la propriété collective des moyens de production, du fait que la privatisation a peut-être été le grand facteur de cette corruption. Non ce sont au contraire « les fonctionnaires » qui sont les coupables. Parfois comme dans le conflit des chauffeurs routiers à qui l’on impose une taxe collectée par un oligarque apparaît la responsabilité des ces oligarques, du capitalisme.

Enfin pour clore notre séjour au Tatarstan, nous avons revu notre jeune journaliste tatar, il fait un article sur nous. Il était déçu que nous n’ayions pas pu rencontrer le groupe de jeunes qui ont choisi de contester le système par l’écologie, qui parlent toutes les langues et s’intéressent à l’histoire de leur pays, à l’Union soviétique comme à bien d’autres choses. Nous avons décidé de continuer le dialogue et de publier sur notre blog la traduction de ses propres réflexions. C’est si dur de se comprendre entre gens qui parlent la même langue, sont dans le même pays, alors entre nous il faut beaucoup de patience, rectifier les incompréhensions, nous dit-il. Il nous a donné rendez-vous dans un parc et il repart en vélo. Cela dit quand je lui demande pourquoi poser toujours la question du positif de l’Union soviétique en terme moraux et culturels et jamais à partir des privatisations, de la fin de la propriété collective des moyens de production,il me regarde étonné et me dit « je vais y réfléchir »… j’attends le résultat de ses réflexions.

Enfin, la veille et le jour du départ nous rencontrerons les deux seules personnes qui affirment que c’est mieux maintenant et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Deux adeptes du capitalisme ?

Le premier est un notre dernier chauffeur de taxi. Il a la soixantaine. A notre question sur ce qu’il préfère aujourd’hui ou l’Union soviétique, il nous répond que la vie a passé si vite qu’il n’y a rien compris. Il a travaillé d’abord comme chauffeur de bus pour nourrir sa famille, puis maintenant comme chauffeur de taxi. Il avait été élevé dans un kolkhoze proche. Tout va bien, il gagne bien sa vie et il y a de tout dans les magasins. Il ne se plaint pas. Mais quelque chose me pousse à poursuivre l’interrogatoire et je lui demande s’il a des enfants. Et là le masque tombe, la souffrance est là. Son fils vit chez lui, il n’a pas de travail, il vit de petits trafics, c’est lui qui l’entretient. Il a fait une école d’art, mais il ne trouve rien en accord avec sa formation. Du temps de l’Union soviétique, on faisait des études et après on vous envoyait dans un poste parfois loin de chez vous, mais il y avait pratiquement immédiatement les moyens de fonder une famille. Aujourd’hui c’est l’insécurité et les jeunes ne veulent plus les travaux pénibles, comme chauffeur de bus, ce sont les gens venus des anciennes républiques qui font le travail. Russes et Tatars n’en veulent plus. Et de là toute l’incompréhension, la douleur même remonte à la surface: pourquoi ont-ils détruit l’Union soviétique, cela ne marchait pas si mal… est-ce que Gorbatchov l’a fait exprès ou est-ce que c’était un imbécile? Elstine tout le monde le sait était un alcoolique… Pourquoi? Je lui demande pourquoi alors il nous avait dit que tout allait bien. Il se tait un instant puis il avoue: « je suis un patriote… J’aime mon pays… est-ce que je vais en dire du mal  à des étrangères?  » et il ajoute » Poutine est un homme bien. Il reconquiert l’Union soviétique morceau par morceau, il a recréé l’ordre. Il y en a qui disent du mal de lui ». J’avais senti dans cet homme simple qui n’avait pas vu le temps passer ce que je connais du monde ouvrier et de ce que je ressentais face au soviétique jadis. Cette soif de dignité qui passe aussi par le patriotisme, le refus de dire du mal de ce qui a coûté dans l’effort. Pas la peur de dire la vérité, non, la volonté de vous faire respecter leur pays, eux-mêmes.

Mais le dernier personnage que nous avons rencontré était un jeune homme lui sincèrement convaincu des bienfaits du capitalisme. Il s’agissait du jeune couple auquel nous avions loué leur appartement et qui le loue aux touristes de passage, par ailleurs il vend du matériel électronique qu’il va acheter au Vietnam et en Azerbaïdjian. En apprenant que nous allions commander un taxi pour l’aéroport, il s’est proposé si nous lui donnions le prix de la course, 500 roubles. La professeur de tatar de Marianne qui elle était musulmane très pratiquante et faisait le ramadan, l’avait mise en garde : « ne lui faites pas confiance, il ne viendra pas! » Elle s’était trompée, il était là à l’heure dite. Sur le trajet il avait mis à tue tête la musique américaine et pas de meilleure qualité. Marianne pour ne pas le vexer lui avait demandé s’il ne pouvait mettre de la musique tatare. Il avait obtempéré mais dénoncé le fait que cette musique était restée figée, incapable d’évoluer… Et bien que tatar lui-même s’était mis à chantonner en se moquant « Tout le monde peut faire ça! » Quant à l’Union soviétique, il y était né. Il avait même été octobriste en rentrant à l’école maternelle, c’était juste avant les pionniers. Dans sa belle-famille, il y avait les tantes de sa femme plus âgées qui avec la perestroïka, la désorganisation générale n’avaient jamais pu trouver un travail en accord avec leurs compétences y compris aujourd’hui. Mais lui heureusement il avait pu profiter des occasions. Par exemple l’appartement, jadis en Union soviétique on ne pouvait pas vendre mais échanger. Avec la fin du socialisme, tout a été possible. Il a hérité de son grand-père un studio qu’il a vendu. Il s’est marié, ils avaient deux voitures, il en a vendu une et avec la somme totale plus des prêts de leurs parents il a acquis cet appartement. Il le met en location, va vivre chez ses parents et agrandit son pécule, développe son commerce. Il est très content et ne voudrait pour rien au monde revenir au système antérieur. Je l’interroge sur la situation dans les campagnes. Il reconnaît que peut-être ça s’est un peu dégradé, mais c’est plus authentique qu’avant, on recrée le folklore tatare, d’ailleurs c’est dommage que vous ne restiez pas jusqu’au premier juillet, il y a la fête du repos entre deux périodes de travaux agricoles, on mange, on danse, les hommes luttent et celui qui gagne reçoit un mouton.puis comme il est profondément honnête et qu’à cete manière des russes, il réflchit pour essayer de vraient vous satisfaire, il ajoute « oui c’est vrai que ce n’est pas très bien, mais c’est pire chez les voisins Chouvases ».

En le quittant Marianne me dit: en voilà un au moins qui nage dans le bonheur. Et elle ajoute: « Est-ce que le fait d’avoir vécu sous une période ou une autre de l’Union soviétique n’a pas joué un rôle? Lui et ses belles-soeurs, visiblement n’ont connu que le désastre de la perestroïka, alors que notre chauffeur de la veille lui avait 60 ans et avait connu tout autre chose. Cette remarque est très importante. Je pense toujours que si l’on devait faire une étude de l’Union soviétique il faudrait faire une analyse des statistiques de mobilité sociale. La formidable transformation d’un peuple durant la marche forcée stalinienne, les opportunités offertes à un peuple de moujiks arriérés. La formation d’une grande classe moyenne, quel rôle joue-t-elle dans la chute de l’Union soviétique? Aujourd’hui une partie, la plus importante de celle-ci est menacée de déclassement. Non seulement la paysannerie, la classe ouvrière mais aussi une bonne partie des enseignants, personnels de santé et autres. Non seulement leurs conditions se dégradent et le fossé se creuse entre le recteur et les professeurs d’université, mais c’est leurs enfants qui sont les plus menacés dans leur avenir. Il faut qu’ils jouissent d’un important capital pour ne pas déchoir, capital argent, patrimoine acquis dans la vente des biens d’Etat, mais aussi capital culture dirait Bourdieu et également capital relationnel, participation à des mafias. Il faudrait voir tout cela, un peu à la manière des travaux de Louis Chauvel sur la crise des couches moyennes en occident. Il faudrait également tenir compte comme le suggère Marianne de la période de l’Union soviétique vécue par chacun. Je me prends à rêver d’une enquête pour laquelle je n’ai ni le temps, ni les moyens.

Marianne me dit, en fait les médias, le pouvoir ne cessent de répéter à la jeunesse qu’il faut se bouger et que ce sont les meilleurs, les plus travailleurs, les plus intelligents qui réussissent. Comment résister, quand on a la moindre petite réussite, à ne pas se sentir heureux de faire partie de l’élite des capacités? Tiens ça me rappelle quelque chose du côté de Macron?

L’Allemagne nous réserverait-elle des surprises? Et les hommes d’affaire chinois?

En  attendant l’avion, Marianne se repose, mais je commence une conversation en anglais avec un allemand venu de Stuttgart en famille. C’est fou ce qu’il y a comme Allemands ici, des Allemands et des Chinois. Si ceux-ci sont venus revivre en groupe les grandes heures de l’Union soviétique (il y a aussi des Vietnamiens), les Allemands sont là en famille pour faire des affaires probablement.

Celui-ci parle aussi mal l’anglais que moi, mais nous nous comprenons en mélangeant allemand et anglais. Il me dit que Merkel et Macron sont deux fous ensemble. Il en a après leur politique migratoire et il explique qu’en Allemagne il entre 6000 migrants par jour et que ces gens veulent nous tuer. Que l’Allemagne va se réveiller quand il sera trop tard et qu’ils seront tous égorgés. Il faut les refouler et tuer les terroristes. J’ai un haut le coeur. Je lui explique que je suis juive et que son discours prononcé en d’autres temps a conduit 18 membres de ma famille dans les camps de la mort. Il hausse les épaules et me dit ! « Mais bien sûr personne ne veut des nazis, il y a 1% de ces dégénérés en Allemagne »… En fait ce qu’il veut c’est qu’on limite l’Europe à l’Allemagne, la France, l’Italie, les pays fondateurs » Comme je proteste que tout cela et bel et bon mais que ce qui nous tue est l’euro, parce que notre économie est alignée sur l’Allemagne, alors que celle-ci à une industrialisation beaucoup plus performante, il est d’accord pour supprimer l’euro et pour retrouver une monnaie commune virtuelle comparable à l’écu… On croirait le programme de la section économique du PCF. Cette discussion avec un homme dont je ne sais toujours pas si c’est un  fasciste, un disciple de Jacques Sapir mâtiné de quelques  traits empruntés à Boccara ou Dimicoli, l’unté de tous les contraires, achève de contribuer à l’impression de confusion généralisée. La seule constante entre tout ce kaléidoscope est qu’il n’est toujours pas question d’expropriation du capital, de planification et de collectivisation des moyens de production, le tout sous la référence enthousiaste à Staline qui tout de même était un adepte forcené de la chose.

Marianne corrige: non à Samara, il y avait un député du KPRF qui intervenait tout le temps dans la discussion et empêchait les autres de parler. Comme nous étions nombreux, il bloquait les autres et il ne cessait de répéter: à un moment il y a eu la collectivisation des moyens de propriété, et il y a la fin de la propriété collective des moyens de production à un autre moment c’est aussi simple que ça. Comme quoi on peut être parfaitement envahissant, sentencieux, excéder les autres et avoir raison. Oui c’est vrai il y en avait beaucoup jadis au PCF et souvent il m’arrive vraiment de les regretter.

Et elle ajoute pour finir de nous achever dans nos illusions : et il n’y a pas que les hommes d’affaire allemands… Ne crois pas que les Chinois soient simplement ces gentils touristes naïfs partis à l’assaut des souvenirs de la grande guerre patriotiques, qui raflent tous les bustes de Lénine et Staline qui leur tombent sous la main, il y a des franches fripouilles. L’autre jour elle allait à la rencontre des collègues du centre de relations internationales et elle a vu sur un banc, un gros chinois dans un jogging vert olive et bleu particulièrement peu élégant et aussi avachi que son propriétaire; il parlait très fort et en chinois sur son portable croyant que personne ne comprenait et il expliquait les occasions de faire du business ici ou à Moscou. Il avait un fort accent du nord, de la Mandchourie et truffait son discours de paroles vulgaires. Tout y passait les conditions climatiques, le logement, les transports et là il y a eu l’occasion de l’état de la population:   «Les Russes sont naïfs, ils n’ont pas l’habitude, comme les occidentaux les méprisent et les traitent mal et qu’il n’y a plus que nous de gentils avec eux, ils espèrent en nous… »

Marianne qui a vécu en Chine, a une famille chinoise et déteste que l’on méprise les Chinois, me dit celui-là était de la catégorie puante, immonde comme le choix disons de la « NEP » en a produit, « l’homme d’affaire » et il ne ferait qu’une bouchée de notre petit logeur prêt à faire le taxi, à aller habiter chez ses parents en pensant « le capitalisme c’est formidable ». Le communisme chinois a jeté ses petits tigres avides sur le capitalisme occidental, ce grand tigre de papier monnaie, mais aussi sur ces pauvres Russes qui n’en finissent pas de se demander comment tout cela leur est arrivé.

Quel foutu bordel… j’aime de plus en plus les Russes y compris ceux qui se prennent pour des petits gagneurs et qui sont prêts à perdre une heure pour empêcher une vieille Tatare de se retrouver seule dans un no mans’s land… Mais je me demande si nous sommes eux et moi bien adaptés, peut-être un Josph Staline… tiens ça me gagne moi aussi.

 

Danielle Bleitrach

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