la vie humaine vue par Gao Xingjian (16/12/2016)
un autre extrait de son oeuvre inclassable, courte (29 pages), mais capitale, "instantanés" :
"......
À cet instant, le quatrième homme est arrivé, vêtu d’une veste de cuir. Sans dire un mot il s’est joint aux autres pour tirer la corde. Tous s’appliquent, impassibles. La corde se tend. Ils tirent dessus de toutes leurs forces avec persévérance, en la faisant filer entre leurs mains.
« Un petit chinois… », le vieux noir chante en anglais sans lui jeter un regard. La vieille Noire caresse son clavier, presque couchée sur le piano, elle balance son corps en mesure, absorbée par la musique, comme si elle était ivre ou passionnée, elle ne le regarde pas non plus. Il ne s’occupe que de boire sa bière. Sous la lumière bleue fluorescente du bar, personne ne regarde personne. L’assistance, emportée par la musique, ressemble à un groupe de marionnettes qui remuent la tête.
Le cheval a cabré ses pattes de devant. Des pattes couvertes de poils. « Il vagabonde dans le monde... » le chant du vieil homme noir reprend.
La vieille femme noire plaque un accord, le sol résonne sous les sabots des chevaux. « Il vagabonde dans le monde…. Il vagabonde dans le monde... »
Le vieil homme noir s’accompagne à la batterie et l’assistance hoche la tête en rythme.
La corde file de main en main ; dessous, les pieds chaussés de cuir sont solidement ancrés sur la pelouse verte.
L’écume vole en l’air, les vagues frappent la digue. En bas la marée grossit, la plage a déjà complètement disparu. Le soleil est toujours aussi brillant, mais le ciel et la mer paraissent d’un bleu encore plus soutenu.
L’extrémité de la corde finit par apparaître. Un énorme poisson mort accroché à un hameçon rouge est tiré sur l’herbe verte. Il a la gueule grande ouverte, comme s’il respirait toujours ; en fait il est mort. Son œil tout rond n’a pas d’éclat, mais il a encore une expression de frayeur."