rue Noël Trannin (15/05/2023)

Mercredi 15 mai 2013 me revoici dans cette maison (4, rue noël Trannin) qui fut la mienne, et où j'ai eu tant de souvenirs, que comme tous les autres souvenirs, je n'ai même plus le temps, la force, la capacité, quoi ? De me remémorer. Il s'en est passé des choses dans cette maison ! … C'était là que ce soir où Isabelle était restée avec moi l'après-midi, en faisant croire à ses parents qu'elle travaillait, attendait maintenant, vers les cinq heures, avec une impatience et une inquiétude non dissimulée que sa copine arrive pour la prendre. C'était devant cette porte où on a pris une photo avec Claude et Isa, une photo de papa, de laquelle je voyais arriver Denise dans sa vaste jupe-culotte, avec sa bouille ronde et un grand sourire, où aussi on était assis avec Claude durant le déménagement de 1989 qui disait « je la regretterai cette petite maison », et que j'ai répondu « moi aussi », surtout que je sentais déjà de l'étouffement avec Denise, n'est-ce pas. Et c'est dans cette pièce un soir que Denise a fait avouer à Claude qu'il avait le SIDA, et c'est là où un des premiers soirs ensemble que je lui avait montré le programme Eliza d'ordinateur simulant un psychanalyste, et qu'il avait fini par couper court, quand il s'est mis à parler d'une souffrance à propos de je ne savais pas encore pourquoi (les conséquences de son sida en fait), ou quand j'ai joué le prélude n° 15 de Chopin et qu'il a dit « tu joues avec passion » ou qq comme ça. Ou tous les soirs quand en rentrant chez moi, je m'installais devant le petit poste de télé, posé sur le buffet (il est toujours là le buffet à 1m de moi, et il était là au-milieu de notre salle à manger dans mon enfance, lorsque j'avais peur de la mort, et lorsque je regardait le caniche thermomètre, et bien d'autres choses) et regardais regardais sans rien faire d'autre, devenu accro à la télé. Ou quand on jouait aux piquet avec papa, et qu'il passait un temps fou à se demander à l'écart : « qu'est-ce que je lâche » (c'était bien lui ça !). Et c'est dans cette maison que j'ai reçu les dizaines de belles lettres que j'avais eu en réponse à mon annonce « matrimoniale » sur Libération (en 85 Libé n'était déjà plus un journal de gauche, mais n'avait pas encore tout perdu de ses origines), et que depuis ma chambre au second j'ai téléphoné à France ROBERT, dont le nom suscitait tant de jeux de mots, et que je suis allé voir dans la banlieue parisienne, et téléphoné à Marie-José bien sûr. C'était là au rez-de-chaussée qu'il y avait la desserte, et sur la desserte, trop tard, pas avant l'automne 84, qu'est arrivé mon premier téléphone, il avait encore la forme classique d'un téléphone, mais il n'avait plus de roue, seulement des touches, et il n'était pas gris mais beige clair. Et je ne m'en suis jamais servi pour téléphoner à papa, il était trop tard déjà, et c'est là que le soir du 4/12/84 j'entendais le curé m'appeler et me dire qu'il allait s'occuper de faire faire un cercueil tout simple pour papa.

C'est dans cette pièce où j'avais mis enfin ce fameux tapis persan (bakhtiari) que papa avait « récupéré » pour lui au « bouloir » (choses données par les paroissiens pour les « œuvres » de la paroisse) et dont il m'avait si souvent parlé quand on se promenait dans les rues de Dunkerque, et j'essayais de lui faire donner des détails, à quoi il ressemblait, ce qu'il était bien entendu pas capable de faire), et contre la fenêtre le canapé rouge brique, où se sont déroulées des scènes torrides ce soir de mai 88 quand j'ai ramené Denise avec moi. Et c'est quelque temps après dans la cuisine qu'elle m'a passé sa chaîne autour du cou, que j'ai si longtemps regardée comme une alliance matrimoniale, que je lui en ai acheté une au Puy en Velay (et je crois une autre pour moi quand la première a cassé). Et sur ce canapé je suis resté des journées entières (et la nuit ? Je pense que je ne pouvais pas monter et que j'ai du la passer dessus aussi) quand j'ai eu un si terrible tour de rein, que je ne pouvais pas bouger, j'avais téléphoné à Mme Delmotte (c'était en 87, je venait de quitter l'ONIC) et elle est venue m'apporter mes médicaments; ça doit être la même fois (ou une autre ?) que quand je l'ai attrapé après avoir rencontré Annie Lamblin à Arras, gâchis raté, et elle a du passer une nuit terrible dans un hôtel de la Grand' Place, et rentré chez moi je restais debout dans le salon sans bouger d'avancer un pied ça me faisait trop mal. C'est dans cette maison qu'est venu plusieurs fois Gérard (qui est mort maintenant le 8/6/2011 l'année de ma retraite, et m'a laissé un nombre incroyable de millions, il y en aura finalement pour plus de 300.000 « euros », soit 200 millions de francs anciens ! - et ça représente la moitié de ce qu'il avait amassé vu les taxes de 55% en droits de succession), dont une fois, il était encore presque jeune, à vélo, il se faisait tout fier de dire qu'il avait l'intention de participer un jour au Paris-Roubaix pour amateurs (il ne l'a pas fait). Et quand il m'a aidé à fixer l'armoire à outil au mur; Devochelle aussi était venu une fois pour m'aider, et m'avais prêté cette infecte ponceuse de parquets, qui a fait que des années encore après on ramassait encore des fils de cuivre dans les fentes de parquet.

Je m'y suis aussi soulé, au moins deux fois, le soir après la mort de mon père, où j'étais resté placide toute la journée, car ça faisait longtemps que je savais que ça allait arriver, même que je n'étais pas étonné quand le coup de téléphone me l'a annoncé. Et après le lettre finale de Marie-José (pas Connan ! Celle d'Annay-sous-Lens, dons je me demande si elles n'était pas leucémique, qui était petite et « sexy »), pourtant là aussi je me doutais que ça finirait comme ça, et que ça ne pouvait pas durer, et que j'acceptais la chose.
Et le soir où je suis resté figé devant le papier à lettre d'Annie Lamblin en (? 87 ?) qui représentait un couple enlacé devant un lac, pendant des heures, de voir que ça pouvait enfin arriver que quelqu'un m'envoie une lettre comme ça, j'étais tétanisé.
Bien sûr le mur de gauche du séjour était recouvert par un grand poster de coucher de soleil sur un lac de forêt, tout en teintes rouges, qui évoquait le fameux trio de Schubert qui était sur la musique de film de Barry Lyndon, et qui me fascinait tant.

Il y avait une reproduction de tableau de Rembrandt au fond au-dessus de buffet. Et j'ai encore la photo avec figaro le chat de Denise sur la table. (Il y avait aussi une belle lampe à l'ancienne avec un globe, que papa avait cassé, et que je l'avais alors engueulé, en disant que c'était la seule chose belle dans cette maison et il venait de la casser.

C'était là que papa était en colère et a presque pleuré parce que je refusais de ranger les livres dans les rayonnages de Bailleul, selon le plan original qu'il avait soigneusement noté …. Et c'est là aussi que quand il y a eu le second déménagement quand les gens de Bailleul ont amené chez moi tout ce qu'il avait gardé pour lui dans sa maison, maison que le curé voulait récupérer maintenant qu'il était à l'hospice, et qu'on savait bien, tous, qu'il ne sortirait plus de l'hopital vivant. Et que je passais des jours parmi les cartons entassés dans la pièce à essayer de ranger, et à découvrir des choses, et que je me faisais cette réflexion qui se trouve sur mon journal intime à cette date, comme ça passe vite une génération, et qu'il reste peu de chose de toute une vie, comment ne pas en avoir constamment le coeur tout morfondu ?

Et quand son piano s'est mit à prendre place devant ce poster sur le mur de gauche, parce que …
Et que je me suis mis à essayer d'en jouer.

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