Considérer que la catastrophe dans laquelle sombre la France serait de la faute des « énarques » et sous-entendre au passage que tous les « énarques » seraient identiques est une sottise car il s’agit d’une généralisation, stupide comme toute généralisation.
Considérer que les maux de la France seraient dus aux « énarques » témoigne d’une vision fantasmatique de la réalité. Le temps n’est plus, depuis belle lurette, où les anciens élèves de l’ENA représentaient les 3/4 des membres du gouvernement et dirigeaient un très grand nombre d’entreprises publiques. [la plupart de celles-ci ayant d’ailleurs été privatisées].
Cette fixation anti-« énarque » constitue un moyen commode, utilisé par certains populistes, pour désigner des boucs émissaires au lieu de s’interroger sur les véritables responsabilités.
On recense 5600 anciens élèves de l’ENA (c’est le nombre donné sur la notice de l’ENA sur Wikipédia), dont environ 4000 « énarques » vivants.
Sur ces 4.000, le nombre de ceux qui sont connus du grand public ne dépasse certainement pas 80 à 100, et encore en comptant large.
Cela signifie que 97 à 98% des « énarques » sont inconnus du grand public.
Une minorité d’entre eux a quitté l’administration et travaille dans des entreprises.
La majorité travaille dans tous les services de l’État, parfois dans des postes en vue (préfets, ambassadeurs, directeurs d’administration centrale, conseillers d’État, etc.) mais bien plus souvent dans des postes techniques, plus ingrats et plus obscurs (adjoints au chef de bureau, chef de bureau, sous-directeur, rédacteur, etc.)
En 2011, la notice ENA de Wikipedia révélait qu’il existait [données de 2011] 31 parlementaires (il faut exclure Paul-Marie Couteaux qui n’est plus parlementaire) issus de l’ENA. Or la France compte 992 parlementaires (577 députés, 343 sénateurs et 72 membres du parlement européen).
Cela signifie donc que le pourcentage d’énarques parmi les parlementaires était exactement de… 3,12%.
Passons maintenant en revue quelques-uns des principaux responsables des grands choix stratégiques faits par la France depuis une trentaine d’années.
- Jean Monnet n’était pas « énarque » : c’est pourtant lui qui est considéré comme l’un des principaux « pères de l’Europe ».
- Robert Schuman n’était pas « énarque » : c’est pourtant lui qui est censé avoir conçu et rédigé la fameuse « Déclaration Schuman » du 9 mai 1950 donnant le coup d’envoi à la construction européenne. Comme nous avons déjà eu maintes fois l’occasion de l’expliquer, cette « Déclaration » a été conçue à la demande du Secrétaire d’Etat américain de l’époque, Dean Acheson, et il est désormais prouvé de façon irréfutable, depuis la déclassification des documents Secret Défense américains opérée à l’été 2000, que Robert Schuman était un agent d’influence de la CIA. cf. dossier mis en ligne sur le site de l’UPR.
- Georges Pompidou n’était pas « énarque » : c’est pourtant lui qui a décidé, au Sommet de La Haye de décembre 1969, de remettre en route le processus d’intégration européenne que Charles de Gaulle avait voulu arrêter et avait de facto interrompu avec la « crise de la chaise vide » de 1965-1966. Lors de ce sommet de 1969, à peine élu à l’Elysée et alors que de Gaulle vivait encore, Georges Pompidou accepta le principe de faire entrer la Grande Bretagne dans le Marché Commun, ce qui était l’objectif stratégique fondamental poursuivi par les Anglo-Saxons. cf. dossier mis en ligne sur le site de l’UPR.
- Raymond Barre n’était pas « énarque » : c’est pourtant lui, ancien Commissaire européen à Bruxelles, qui fut nommé Premier ministre en 1976 par Valéry Giscard d’Estaing pour préparer les premières élections au Parlement européen de 1979 et pour faire avancer constamment la soumission de la France au principe d’une Europe intégrée.
- François Mitterrand n’était pas « énarque » : c’est pourtant le président de la République qui a négocié, signé puis fait ratifier par les Français le traité de Maastricht en septembre 1992. Au regard de l’Histoire, c’est cet ancien avocat, décoré de la francisque par Philippe Pétain, qui porte la responsabilité n°1 d’avoir fait entrer la France dans le processus mortel d’une Europe fédérale.
- M. Roland Dumas n’est pas « énarque » : c’est pourtant lui qui a été le ministre français des affaires étrangères qui a négocié puis signé le traité de Maastricht.
- M. Jacques Delors n’est pas « énarque » : c’est pourtant lui qui a été – et reste – l’un des principaux inspirateurs de la construction européenne en France. Président de la Commission européenne de 1985 à 1995, il a joué un rôle de tout premier plan dans la signature de l’Acte Unique de 1986 puis dans la préparation du traité de Maastricht de 1992
- Pierre Bérégovoy n’était pas « énarque » : c’est pourtant lui qui a procédé à la libéralisation générale des mouvements de capitaux lorsqu’il était ministre de l’économie et des finances, et qui a donné son aval aux aspects économiques, commerciaux, financiers et monétaires du traité de Maastricht. Toutes ces décisions furent capitales et nous en payons de plus en plus les conséquences vingt ans après. [notons au passage qu’à cette époque, j’étais certes déjà « énarque » mais chef de bureau Asie-Océanie à Bercy et donc à des années lumière d’avoir quelque responsabilité que ce soit sur ces sujets décisifs !]
Plus près de nous : - M. Nicolas Sarkozy , Président de la République, n’était pas « énarque ». C’est pourtant lui qui a été le principal responsable de la forfaiture du traité de Lisbonne, consistant à faire ratifier, sous un autre nom et avec quelques modifications cosmétiques, la Constitution européenne que 55% des Français avaient rejetée par référendum.
- M. François Fillon, ancien Premier ministre, n’est pas « énarque ». Il est co-responsable du traité de Lisbonne, de même que M. Bernard Kouchner (à l’époque ministre des affaires étrangères), non « énarque »,
- M. Thierry Breton, ministre des finances de 2005 à 2007, n’était pas « énarque »,
- Mme Christine Lagarde, ministre des finances de 2007 à 2011, n’était pas « énarque » (elle a raté le concours),
- M. François Baroin, ministre des finances de 2011 à 2012, n’était pas « énarque ».
- M. Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, n’est pas énarque.
Par ailleurs, il est impossible de comprendre comment la France a basculé dans l’utopie européiste et le désastre qui en résulte, si l’on oublie que de très, très nombreux relais d’opinion ont monopolisé les médias pour mettre dans la tête des Français qu’il fallait absolument adopter l’euro et ratifier l’Acte Unique de 1986, le traité de Maastricht de 1992, le traité d’Amsterdam de 1997, le traité de Nice de 2000, la constitution européenne de 2005 et le traité de Lisbonne de 2009.
À cet égard, la responsabilité et le rôle des grands dirigeants de la télévision, de la radio et de la presse française ont été considérables dans la formation de l’opinion publique sur ces choix décisifs.
Or :
- Francis Bouygues, Président de Bouygues et propriétaire de TF1 en 1992 n’était pas « énarque »
- M. Martin Bouygues, fils du précédent et actuel propriétaire de TF1, n’est pas « énarque »
- Jean-Luc Lagardère, dirigeant du Groupe Lagardère, premier groupe de médias français en 1992 n’était pas « énarque »
- M. Arnaud Lagardère, fils du précédent et actuel dirigeant du Groupe Lagardère (Hachette, Europe 1, Journal du Dimanche, Paris Match, Le Parisien, Elle, NMPP, une partie du Monde, etc), n’est pas « énarque ».
- M. Serge Dassault, propriétaire du Figaro et du Figaro Magazine, n’est pas « énarque »
- M. Bernard Arnault, propriétaire du Groupe Les Echos, n’est pas « énarque »
- M. Pierre Jeantet, président du Directoire de « La Vie Le Monde » (journaux Le Monde, La Vie Catholique, Télérama SA, Malesherbes Publications, etc.), n’est pas « énarque »
- M. Claude Perdriel, Président du Groupe Perdriel (Le Nouvel Observateur, Sciences et Avenir, Challenges, etc.), n’est pas « énarque »
- Etc.
À toutes ces personnalités, il faut encore ajouter tous les responsables syndicaux qui ont appelé à ratifier le traité de Maastricht et les traités ultérieurs, et par exemple :
- François Périgot, ancien président du CNPF (prédécesseur du MEDEF), qui n’est pas « énarque »,
- Mme Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF, qui n’est pas « énarque » (elle a raté le concours),
- M. Jean Kaspar (CFDT) qui n’est pas « énarque »
- Etc.
Il faut aussi, et peut-être plus encore, ajouter tous les journalistes, chroniqueurs, rédacteurs en chef, responsables politiques, ou prétendus « intellectuels » qui sont intervenus constamment depuis deux décennies dans tous les médias pour assurer aux Français qu’il n’y avait pas d’autre voie que de lier le sort de la France à une construction politique continentale et à une monnaie unique.
Citons ainsi, parmi toutes ces vedettes :
- M. Jean Boissonnat (L’Expansion et La Croix), qui n’est pas « énarque »,
- M. Claude Imbert qui n’est pas « énarque »,
- M. Jacques Julliard (Nouvel Observateur) qui n’est pas « énarque »,
- M. Georges Suffert ( Le Point) qui n’est pas « énarque »,
- M. Jean-François Kahn (L’Evénement du Jeudi puis Marianne) qui n’est pas « énarque »,
- M. Franz-Olivier Giesbert (Libération puis le Figaro), qui n’est pas « énarque »,
- M. François Henri de Virieu, qui n’est pas « énarque »,
- M. Alain Duhamel, qui n’est pas « énarque »,
- M. Christophe Barbier (L’Express), qui n’est pas « énarque »,
- etc., etc.
Et parmi les responsables politiques et les « intellectuels » auto-proclamés :
- M. Bernard Kouchner, qui n’est pas « énarque »,
- M. Brice Lalonde, qui n’est pas « énarque »,
- Mme Simone Veil, qui n’est pas « énarque »,
- M. Bernard-Henri Lévy, qui n’est pas « énarque »,
- M. Guy Bedos, qui n’est pas « énarque »,
- M. Alain Decaux, qui n’est pas « énarque »,
- M. Jack Lang, qui n’est pas « énarque »,
- M. Daniel Conh-Bendit, qui n’est pas « énarque »,
- M. Alain Madelin, qui n’est pas « énarque »,
- M. Antoine Waechter, qui n’est pas « énarque »,
- M. Dominique Strauss-Kahn, qui n’est pas « énarque »,
- M. Nicolas Hulot, qui n’est pas « énarque »,
- Mme Eva Joly, qui n’est pas « énarque »,
- etc.
CONCLUSION
Ce simple rappel des faits prouve que l’idée selon laquelle la situation de la France actuelle résulterait d’une faute collective des « énarques » relève donc du mythe. Du reste, la notion de « faute collective » doit toujours être regardée avec beaucoup de suspicion.
Bien entendu, il y a des « énarques », et non des moindres, qui sont totalement complices de l’actuelle manœuvre d’asservissement et de destruction de la France par « construction européenne » interposée.
Mais l’écrasante majorité des « énarques » sont des fonctionnaires qui font leur métier de fonctionnaires. Métier qui est d’obéir aux décisions prises par les dirigeants politiques élus du pays.
Le véritable problème de la France ne réside pas dans les « énarques » mais dans un double phénomène :
- d’une part nos dirigeants politiques sont certes élus par les Français, mais ils ne le sont pas de façon démocratiquement satisfaisante : ils ne sont élus que « par défaut », parce que le débat démocratique est entièrement faussé par les médias qui pré-sélectionnent les candidats et en ignorent délibérément d’autres. De nombreuses officines de désinformation (par des sondages truqués notamment) complètent ce dispositif qui vise bien davantage à extorquer le consentement du peuple français qu’il ne vise à recueillir honnêtement ses volontés.
- d’autre part nos dirigeants ne dirigent plus grand-chose : pré-sélectionnés par les médias et ceux qui les tiennent, nos dirigeants sont en fait dirigés par la Commission européenne, la BCE, l’OTAN et l’ensemble des lobbys des plus grands groupes industriels et financiers.
Tout cela est autrement plus important que le pseudo-pouvoir des « énarques ».