nos marquis et leur repli identitaire (29/05/2015)

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lundi, 20 juin 2005

 

Deux jours après la grosse baffe du 29 mai, Christine Ockrent tenait salon sur France 3. Tout l’ancien régime y était réuni, rose et poudré comme à Versailles, continuant à déguster du Oui comme Marie-Antoinette de la brioche : un maître-sondeur (Stéphane Rozès), un expert aux cheveux oxygénés (Pascal Perrineau), un directeur d’opinion (Serge July), un socialiste (Pierre Moscovici) et quelques autres qui leur ressemblaient comme deux gouttes de verveine. L’un parlait du « front de la conservation sociale » forgé par les électeurs du Non, un autre postillonnait sur leur « xénophobie », un troisième s’affligeait de l’ère glaciaire qu’allait connaître l’Union européenne. Leur baratin déjà mille fois ressassé, mille fois réfuté, et que les urnes venaient de disqualifier pour de bon quarante-huit heures plus tôt, ils nous le resservaient comme au premier jour, vivifié par leur appartenance toute neuve à une minorité rebelle quoique archi-dominante. L’esprit pionnier de Lafayette...

Cependant, nos marquis se targuant de causer au nom de la démocratie, au point de se confondre totalement avec elle, ils s’avisèrent que le « camp du Non » avait bien droit à un tabouret au bout de la table, près du rince-doigts en faïence et du crachoir Louis XV. Non bien sûr qu’il faille accorder le moindre crédit à ce que peuvent dire les vilains, les hétéroclites, les « extrêmes qui se touchent », les trop-Français, les pas assez-Français. Mais quand même, malgré les maladies vénériennes dont ils sont porteurs, malgré la bouse qui leur colle aux semelles, malgré leur rigidité fruste, leurs acquis sociaux fétides, leur peur irrationnelle du changement, ces gens-là existent. Rappelle-moi, ils ont même gagné une élection, non ? Alors il faut faire avec. Un peu, pas trop, presque pas. Juste assez pour égayer le banquet. C’est là où la décadence aristocratique toucha au sublime. Car qui reçut des mains de la douairière Ockrent le titre d’ambassadeur de la France des 55 % ? Sur quel bouffon l’amicale des seigneurs allait-elle se venger de la fronde référendaire ? Coupons court au suspens : Jean-Claude Mailly ! [1]Oui, le patron de Force Ouvrière. Petite chose toute molle, sauf le respect. Bonne tête à claque, piètre orateur. Chaque fois qu’il hasardait un mot sur la « dimension sociale » du vote, la dinde Ockrent lui volait dans les plumes en caquetant : « ah ça, mais !... » Le Mailly en était tout ébahi. Pas moyen de finir une phrase. Dès qu’il gonflait les joues, l’autre lui claquait le bec. On ne l’a même pas vu partir.

Ce qu’on a vu par contre, et avec fascination, c’est l’application avec laquelle les poudrés entreprirent de ne pas « se couper » totalement du peuple. Le peuple avait ses raisons, après tout. Dont une que l’on pouvait à la rigueur tenir pour légitime : l’impopularité de Raffarin. À ce propos, Moscovici relaya le message déjà martelé par Hollande : ce vote a été un vote de contestation contre Chirac et son gouvernement. Point final. Tu changes de président et de gouvernement, et tout baigne comme avant. Sous la conduite éclairée du PS, le peuple serait à nouveau sous contrôle. Pas une seconde l’idée ne les effleura que c’était aussi à leurs têtes de cons qu’on en avait, à leur bilan au pouvoir, à leur célébration du travail, à leur culte de la laideur, et puis à leurs pauvres mots tout creux, vidés de leur sens comme on éviscère un ortolan.

Mais la pire entourloupe était encore à venir. À peine assurée son repli (identitaire) dans ces maisons de maître que sont les plateaux de télévision, la Restauration sonna le tocsin de la guerre civile. Dans Le Nouvel Observateur (02/06/05), Jacques Julliard constata en avalant une bouchée de brioche : « La fièvre. La fureur. La rage. Un parfum de guerre civile. Une envie de lynchage sans que l’on sache encore qui en sera la victime. Paradoxe : des Français littéralement hors d’eux ont décidé de se replier sur eux-mêmes... » Dis, Jacquot, faut aller beaucoup au cinéma et avoir un joy-stick à la place du cervelet pour se mettre dans des états pareils. Le droit de vote, que beaucoup ont trouvé la ressource d’exercer à nouveau, un lynchage ? Et tu te demandes qui en sera « la victime » ? Mais c’est nous, ducon ! Le dindon de la farce, c’est évidemment tous ceux qui espéraient ou faisaient semblant d’espérer que voter non à une Constitution digne du règlement intérieur d’un centre commercial permettrait sinon de bloquer les caisses, du moins de les chahuter un peu. D’accord, on se doutait bien que ce chahut serait sans effet durable. Et même on était assez affranchi pour admettre les hypothèses les plus baroques, y compris Sarkozy remplaçant Villepin qui remplace Raffarin, oui, pourquoi pas ? Ils mettent des policiers partout en bas, normal qu’ils mettent des ministres de l’Intérieur partout en haut. On ne se faisait pas d’illusions. Mais de là à...

De là à métamorphoser le Non à l’Europe libérale en un Oui au libéralisme tricolore, c’était plus dur à faire passer. Politiques et médias s’y attelèrent dans les jours qui suivirent. On vit soudain une nuée de ballons étoilés se lever dans les airs : « lutte contre le chômage », « cent jours pour la confiance », « modèle danois », « flex-sécurité », « assouplissement du droit du travail », « période d’essai de deux ans » et même « quotas de l’immigration »... Sur les ondes, dans la seigneurie d’Arlette Chabot ou les boudoirs de France Inter, les consanguins se trouvèrent à nouveau réunis, non plus pour bavasser sur le Non, la fureur et la guerre civile, mais pour dénoncer le chômage, ce « mal français » qu’il urgeait de guérir à la racine, c’est-à-dire par la médéfisation du travail et des frontières. Les gens réclament moins de concurrence ? On les exauce en leur en donnant plus. Les chômeurs ont massivement rejeté le traité de Giscard ? On leur administre un concentré de giscardisme. Les pauvres réclament de la solidarité ? On leur répond « quotas » et « flexibilité ». Le pont-levis est fermé, les châtelains bien à l’abri. Tout autour, il n’y a plus qu’à chercher les fourches, les échelles, les catapultes et les feux grégeois.

Olivier Cyran CQFD

18:50 Publié dans MÉDIAS ET PENSÉE UNIQUE | Lien permanent

 

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