« Etre jeune c’est peut-être cela : croire que le monde est fait de choses inséparables. » (in "Indochine" de Régis Wargnier)


Pourquoi on ne vit plus comme on vivait - on-vi-vait - à Bailleul ? quand on était inquiets parce que papa ne revenait pas à l'heure de l'eglise parce qu'il y avait eu une fuite d'eau à la sacristie et qu'il avait du batailler toute la soirée, quand on le voyait passer sur la chaussée tirant la baladeuse à bras avec laquelle il emportait le matériel pour faire des chapelles mortuaires chez les gens, quand on l'entendait travailler à harmoniser sur son piano des chants pour une prochaine messe - ils sont où ses doigts coupés ? - quand on était réveillé le matin par les hirondelles et les volets roulants de la vieille voisine, dont on n'avait pas peur, dans cette France non encore flico-fasciste, des coups dans le mur quand on faisait trop de bruit, même qu'on retapait à notre tour de plus belle, quand on suivait les résultats des élections à la radio, quand ils jouaient aux cartes en trichant et en se chamaillant en riant aux éclats.

Eh oui, c'est parce que c'était le début; eh oui la vie des paysans des vieux Wargniez avait bel et bien pris fin et était disparue, et je ne pensais pas que celle-ci, ici et maintenant, allait elle aussi disparaître et mourir sans laisser de traces.

Et la société a évolué autour de nous, faisant disparaître la radio et les pavés, et les chevaux de ferme, et les pannes d'électricité, et les feux continus, et les enfants (oui, regardez il n'y en a plus), et les vieilles bigottes, et les magasins, et même la vente par correspondance, et les mariages et les enterrements.



"même les plus chouettes souvenirs ça vous a une de ces gueules" comme disait Ferré "on oublie le visage et on oublie la voix" "dans la gal'rie j'farfouille dans les rayons d'la mort" "lautre pour qui on avait peur, pour un rhume pour un rien" ou pour une voiture repartie seule sur la route de Sain-Pol et à qui on pensait à acheter des bijoux dès qu'on en voyait de beaux, etc, chanson paradigmatique.